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manière déplorable. On le pleurait publiquement comme on pleurait Osiris et Adonis ; Cybèle avait aussi ramassé ses membres indignement mutilés ; enfin ce culte et celui d’Adonis étaient si bien un même culte au fond, qu’au temps de Tertullien ils avaient fini par se confondre tout-à-fait.

Le même mythe se reproduit enfin dans Uranus mutilé par Kronos, et dans Jupiter même, qui, après s’être emparé du trône céleste, vit les Titans se soulever contre lui. Typhon, le poursuivant à travers la Grèce et l’Arabie, le vainquit enfin, le mutila comme il avait mutilé Osiris, et l’ensevelit dans l’antre Corycien, où Mercure et Pan, d’autres disent Minerve, le retrouvèrent et le rendirent à la vie.

Tel est donc le récit identique qui servit de texte aux plus fameux mystères de l’antiquité. C’est une seule et même trilogie, dont les trois termes sont : 1o  une période de bonheur goûté par un personnage divin, ou intimement uni à la divinité ; 2o  une lutte fatale de ce personnage contre un être monstrueux, auquel on attribue volontiers les formes les plus horribles, comme pour exprimer le génie du mal ; 3o  le personnage vaincu et supplicié par le génie du mal est ressuscité, et on lui dresse des autels.

Cette trilogie mystérieuse était, nous le répétons, l’essence de la religion grecque ; une si remarquable unité de pensée sous une si grande variété de formes le témoigne clairement. Les mythes qui la contiennent sont les plus anciens, et tout ce qu’on sait sur leur introduction en Grèce les fait remonter à l’époque où une colonisation orientale y exerçait encore son influence. Enfin, ce qui prouve encore mieux peut-être que c’est là l’idée première du culte, c’est que tous les mythes héroïques venus plus tard se sont en quelque sorte calqués sur ce mythe divin. La multitude des circonstances accessoires, les inventions, les allégories dont on les a surchargés peu à peu, dérobent d’ordinaire à nos yeux le plan simple de cette doctrine : c’est un édifice dont une profusion d’ornemens nous cache les lignes primitives et grandes ; mais écartez ces détails, isolez les masses, et partout vous retrouverez les trois colonnes du sanctuaire ; partout, de même que les dieux égyptiens se présentaient toujours par trois[1], de même aussi l’histoire religieuse vous offrira une trilogie sacrée. Lorsque, par la canonisation nationale appelée apothéose, on décernait un culte à des personnages inférieurs, on jetait leur vie dans le même moule trilogique ; on tirait de leur histoire, du mieux qu’on

  1. Συνεδροι, συνναοι θεοι.