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thème violent, et l’impuissance du principe se prouve par cette suite d’efforts avortés. Il nous semble que ce spectacle aurait dû suffire pour détourner les cerveaux contemporains, même les plus malades, d’une poursuite tant de fois essayée, tant de fois reconnue vaine. Il n’en est rien : l’homme joue volontiers le rôle de l’insecte qui se brûle éternellement au même flambeau. L’expérience ne le guérit pas, et, dans l’ensemble de ses recherches, il y a toujours une part pour l’impossible, aliment des natures inquiètes et remuantes. Les âges modernes ont donc eu leurs communistes comme l’antiquité ; seulement il faut descendre de Platon à Babœuf, et passer du Livre des Lois au manifeste des égaux.

Les égaux (c’est le nom que se donnaient les disciples de Babœuf) appartiennent à cette secte de politiques qui, dans tous les temps, ont voulu imposer aux sociétés une certaine manière de comprendre et de définir le bonheur. La science du pouvoir consiste, d’après eux, à supprimer ce qui fait obstacle, et le meilleur gouvernement est celui qui s’arrange de manière à n’avoir pas de contradicteurs. Venus dans des temps orageux, les égaux ne pouvaient pas prendre la communauté à un point de vue sentimental. Ils prétendaient la faire pénétrer de force dans la vie française. Ils acceptaient bien, en la modifiant, la donnée bucolique de Morus et de Platon ; mais ils y ajoutaient les moyens de réalisation de Wiclef et de Muncer. Aux utopies païennes ils rattachaient les formules de l’Évangile, mêlaient les Gracques et Jésus-Christ, la langue des clubs et les réminiscences grecques et romaines. Leur originalité se composait ainsi d’emprunts, et les chimères passées jetaient toutes un reflet sur leur chimère. Quelques traits principaux suffiront pour la caractériser.

Comme leurs devanciers, les égaux commençaient par poser en principe que la propriété individuelle est ici-bas l’origine de tous les maux : la propriété collective est seule bonne et féconde. De là résulte la nécessité d’une expropriation générale des particuliers au profit du gouvernement. L’état dès-lors résume et concentre en lui toute l’activité nationale ; il substitue la gestion publique à la gestion privée. On se plaint quelquefois des inconvéniens de notre centralisation : en voici une qui fera trouver légère celle que l’on accuse. Il est vrai qu’elle supporte en revanche de lourdes charges. L’individu abdique en faveur de l’état, mais l’état doit aux individus une existence heureuse ; ce sont les termes du programme. Comment s’y prendra-t-il ? Les égaux ne reculent pas devant ce problème. Ils commencent par tracer des divisions statistiques, classent le pays en zônes