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LE ROMAN ANGLAIS.

choses par le trou d’une aiguille, de se parquer dans un petit cercle, de ne pas vouloir jeter son regard sur la grande sphère du monde, et de le juger comme une mite voyageuse jugerait l’espace parcouru par elle sur une sphère de cent pieds.

Il semble que le roman anglais, après avoir parcouru la longue route que nous avons suivie dans ses détours, et dont nous avons marqué les points lumineux, et les grandes lignes, ait définitivement atteint l’épuisement inévitable. Bulwer lutte aujourd’hui contre cette situation, que les intérêts et les craintes politiques ne peuvent manquer d’aggraver. Dans ses romans, d’ailleurs écrits avec verve, éclat et une puissance irrécusable, on aperçoit un certain degré d’effort qui trahit la fatigue du sol que le romancier veut exploiter. Tour à tour il est forcé de porter sur les domaines de la politique, de la métaphysique, du grand monde, de la cour d’assises, de l’Allemagne moderne, de l’Italie, de la France, et même de l’ancienne civilisation romaine, son observation et son étude, comme s’il sentait que le terrain va lui manquer, et qu’il faut renouveler par des moyens factices une fécondité trop long-temps sollicitée. Plus sagace néanmoins et plus hardi que la plupart de ses rivaux, il ne s’est pas volontairement réduit aux étroites limites d’un petit genre à cultiver ; il a compris que dans une époque incertaine et confuse, mais ambitieuse et remplie d’attentes vagues, il fallait toucher à toutes les idées, esquisser toutes les situations, s’occuper de tous les intérêts, observer tous les côtés de la vie, en chercher toutes les modifications, en reproduire les lumières et les ombres, quelque diverses et chatoyantes qu’elles pussent être. Il a mis au service de cette courageuse idée les ressources d’un style souvent inégal, mais d’une grande variété, d’une énergie vive et éloquente. Il s’est même élevé jusqu’à une impartialité remarquable, et souvent le préjugé britannique, la nationalité exclusive, disparaissent dans ses écrits devant le sentiment de la grande communauté européenne.

Bulwer est donc supérieur à la plupart des romanciers de la Grande-Bretagne, précisément par ce sentiment universel dont les œuvres de l’esprit ne peuvent se passer aujourd’hui. Walter Scott, Byron, Carlyle (malgré ses nuages et ses emportemens métaphysiques), peuvent être lus et compris d’un bout de l’Europe à l’autre. Il est impossible, au contraire, à qui n’est pas Anglais ou Écossais, de déchiffrer le vrai sens de ces romanciers nombreux, analystes impitoyables du monde britannique, gens de mérite d’ailleurs, qui font gémir la presse anglaise. L’un traite d’une profession spéciale, l’autre