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rique, dont Ainsworth fait un squelette grimaçant, est encore cultivé par d’autres mains moins connues. Nous citerons dans ce genre usé, dont la facilité sollicite la foule des médiocrités, deux récentes productions : Jeanne de Naples et Trevor Hastings. Trevor Hastings est un de ces livres qui ne sont ni roman ni histoire, et qui jettent sur un canevas de faits et d’incidens, empruntés assez maladroitement aux chroniques, une broderie de caractères sans valeur et de passions sans réalité. Jeanne de Naples, héroïne équivoque faite pour séduire l’imagination des conteurs, personnage que l’on peut colorer de toutes les nuances et parer de tous les reflets, a fourni à M. Michell le texte d’un autre roman historique, œuvre qui ne demande qu’un peu de lecture, un style assez souple et l’habitude d’écrire bien ou mal. Il manque à tous ces imitateurs la science de l’humanité, que Scott possédait après Fielding. Ils croient écrire le roman de l’histoire en lui dérobant des faits, des noms et des dates qu’ils habillent comme ils peuvent ; ils ne savent pas que la nouveauté même leur manque, et qu’ils suivent la trace, non pas de Walter Scott, mais de Mlle de Scudéry et de Gomberville. Ne dirait-on pas que le roman historique a été inventé de nos jours ? C’est là une des prétentions les plus curieuses et les plus insoutenables de notre époque, si féconde en prétentions. L’auteur de ce roman sur Alexandre, Quinte-Curce, que nous expliquons en quatrième, a-t-il fait autre chose qu’un roman historique ? Xénophon n’est-il pas le précurseur de Walter Scott ? Et cet Écossais spirituel, romancier observateur, peintre de caractères, historien des mœurs si l’on veut, mais non créateur, n’a-t-il pas simplement suivi le courant du siècle, et agrandi par sa connaissance du cœur humain et des races le sillon de l’antiquaire Walpole ?

Certes, il n’a pas imité Walpole, mais il l’a complété. Toute imitation est chose morte ; les voleurs d’idées ne sont pas, ne vivent pas ; et plus ils crient haut, comme M. Ainsworth, moins ils existent. « Quels sont ces guerriers qui se battent ? demande quelque part l’Arioste, et pourquoi se portent-ils de si terribles coups ? Ce sont des cadavres qui ont oublié qu’ils étaient morts, et qui, entassés dans la plaine, se prennent aux cheveux comme s’ils vivaient. » En face de ces vaillans cadavres de guerriers, placez tous les livres qui paraissent chaque jour et qui n’ont aussi que des idées mortes, cadavres qui font semblant de se battre ! Tous ces imitateurs n’en sont pas moins fiers ; toutes ces idées mortes n’en tressaillent pas moins ; toutes ces apparences de livres ne se présentent pas moins à nous comme s’il y