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l’école richardsonienne, combien je les préfère aux moyens faciles et violens d’Ainsworth pour étonner et attirer le gros du public !

C’est d’ailleurs un homme fort aimable, dit-on, que ce romancier. Jeune, riche, bien fait de sa personne, et très habile dans tous les arts qui exigent de l’adresse et de la vigueur, il s’est fait une certaine popularité par la publication de ses romans, qui, paraissant régulièrement, avec une ponctualité commerciale très scrupuleuse, tombent par coupe réglée sous la dent vorace des amateurs. Aliment facile à composer, et la triste chose que cette cuisine littéraire ! En vérité, cette réduction du métier intellectuel à je ne sais quelle recette de chimie ou de pharmacie que la première personne venue peut élaborer, en ceignant le tablier d’homme de peine, cause un inexprimable dégoût. Ces recettes littéraires, aujourd’hui si faciles, fourniraient un volume, si l’on n’avait peur d’initier dans de si pauvres secrets ceux qui aiment à écrire sans penser et à briller sans mérite.

Prenez pour exemple la Tour de Londres d’Ainsworth. Il dérobe le procédé primitif à Victor Hugo, et fait d’un monument antique un héros auquel il espère nous intéresser. Première recette qui se réduit à un emprunt. Autour de ce monument, il rassemble tout ce que son érudition lui fournit de souvenirs curieux relatifs au règne de Henri VIII, d’Édouard VI et de Marie Tudor. Seconde recette dérobée à Walter Scott, et misérablement dérobée. Il y a dans les chroniqueurs mille choses plus piquantes que les faits recueillis ou imaginés par l’auteur. M. Tytler a publié dernièrement des documens et des fragmens de correspondances qui dépassent de bien loin, pour l’intérêt, toutes les inventions de M. Ainsworth. Ses personnages n’intéressent jamais, et sont des lieux-communs fort usés ; les personnages de l’histoire sont neufs, vivans, charmans, terribles. Quelle belle figure, par exemple, que celle de ce Guy Fawkes, soldat fanatique, élevé au XVIIe siècle comme Jacques Clément au XVIe, muet, indomptable, sans remords, n’ayant qu’une idée, celle de tuer les protestans, et dormant la mèche allumée sur les barils de poudre qui vont faire sauter la chambre des communes, les pairs et le roi ! Croirait-on que le romancier a fait de ce terrible homme un amoureux et un pleureur sentimental ? Oui, de ce Fawkes dont les gamins de Londres brûlent l’effigie tous les ans, et qui effraya de son regard, lui accusé et condamné, le roi, les lords et le peuple ! — Et au XVIe siècle que de figures charmantes, heureuses, dramatiques ! Anne de Boleyn, coquette trop sévèrement punie ; le facétieux Thomas Morus, qui faisait des calembours sur l’échafaud et des bouts-rimés en jugeant