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LES ÉLECTIONS.

reconnaître que tous ces thèmes, tant de fois exploités, laissaient le pays indifférent et froid. Aussi a-t-il cherché un autre motif, et il s’est jeté dans les chiffres. Nous félicitons l’extrême gauche de cette amélioration, de cette nouveauté dans sa polémique.

Autre progrès. Le publiciste radical emprunte la plus grande partie de ses argumens aux hommes politiques les plus modérés, à M. Lepelletier d’Aulnay, à M. le comte Roy, à M. d’Audiffret, à M. Dufaure. Ces honorables pairs et députés ont signalé en effet les inconvéniens que présente notre situation financière, et M. de Cormenin ne vient qu’à leur suite dans cette carrière nouvelle pour lui. Mais croit-il par hasard que ces hommes, vraiment compétens, de l’autorité desquels il s’appuie, concluent avec lui que le remède efficace est d’envoyer à la chambre une majorité radicale ?

Singulière erreur de l’esprit de parti ! On affirme et on prouve, par tous les témoignages, que la France a engagé son avenir financier pour plus de dix ans, on ajoute qu’il faut que ce soit dix années de prospérité ; et la conclusion qu’on en tire, c’est d’inviter les électeurs à déplacer le pouvoir par leurs votes, et à lancer le pays dans des agitations, dans des aventures nouvelles ! Mais si la France a engagé son avenir pour dix ans, elle doit redoubler de prudence et d’esprit de conservation ; elle le sent, et voilà pourquoi devant les préoccupations financières, devant les grands travaux industriels qui se continuent ou se préparent, les passions politiques, naguère encore si vives, s’amortissent.

M. de Cormenin est lui-même plus qu’il ne croit sous l’influence de ces dispositions nouvelles du pays. Dans sa Réponse au ministre des finances, nous le surprenons en flagrant délit de justice et d’impartialité envers le gouvernement de 1830. « Tout le bien, dit-il, que le gouvernement a pu faire à mon pays avant comme depuis 1830, et il en a fait, je l’en remercie, car je porte un cœur de citoyen, et je ne suis ni ingrat ni injuste. » Allons, Timon n’est pas si dur ; voilà un bon mouvement qui l’honore, et qui vaut mieux que les plus virulentes, les plus ingénieuses tirades. On n’échappe pas à l’esprit de son temps ; on ne reste pas implacable, exclusif, quand on voit autour de soi les partis et les hommes se transformer et se rapprocher. Comparez les deux derniers écrits de M. de Cormenin avec ceux qu’il publiait il y a quelques années ; quel contraste ! Dans ceux-là brillait une verve ardente, impitoyable ; ni ménagemens, ni concessions ne venaient tempérer la furie des attaques. Aujourd’hui, l’écrivain