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parti du mouvement s’est piqué d’immutabilité. Autour d’elle, chaque parti, chaque homme transformait ses opinions, ses idées ; les esprits les plus élevés du parlement et du pays, M. Thiers, M. Guizot, M. de Lamartine, modifièrent hautement leur politique suivant les besoins nouveaux qu’à leur sens le temps apportait avec lui. Tout changeait autour de la gauche ; elle changeait aussi, et cependant elle s’opiniâtrait à se dire toujours la même. Ce n’est pas pour avoir agi comme elle a fait que la gauche s’est nui devant le pays, mais pour n’avoir pas donné de cette conduite une explication franche et solennelle ; on eût dit qu’elle rougissait elle-même de ses propres progrès. Aussi ses adversaires ont profité de son silence ; ils ont attribué l’appui qu’elle a prêté en 1840 au gouvernement à de misérables motifs d’ambition individuelle. Ces attaques ont embarrassé la gauche ; tout en étant convaincue qu’elle ne les méritait pas, elle a pu souvent se reprocher à elle-même de ne les avoir pas prévenues par plus d’habileté et de courage. C’est pourquoi, depuis deux ans, l’incertitude de ses allures et le découragement de plusieurs de ses membres n’ont échappé à personne. La gauche a besoin de se rendre compte de son passé, de son avenir, et de se reconstituer.

La dissolution du parlement de 1839 est favorable à tous les partis, en leur permettant de se renouveler et de se replacer dans des conditions normales ; elle vieillit leur passé, elle éloigne le souvenir de leurs fautes, elle en allége en partie la responsabilité. Le parti légitimiste a vu dans les élections de 1842 une occasion pour modifier sa conduite. Il ira aux élections, et il ne fera plus d’alliance systématique avec les radicaux. Nous nous féliciterons toujours de voir un parti politique, quelle que soit la distance qui nous en sépare, rectifier sur quelques points ses sentimens et sa marche, parce que cet amendement concourt au bien général. Un parti qui croit à son importance ne se résigne pas éternellement à l’inaction ; ses erreurs, il aime mieux les reconnaître ; les engagemens qu’il a pris envers lui-même, il préfère ne pas les tenir plutôt que d’aboutir à une incurable impuissance par l’entêtement et la logique. Le parti légitimiste, après avoir annoncé qu’il ne prêterait jamais serment à la constitution de 1830, ira aux élections et prononcera le serment constitutionnel : il se rend à l’évidence, il ne veut plus se tenir éloigné de la vie publique, du mouvement des intérêts et des idées, il passe sur l’inconvénient de se donner un démenti à lui-même ; enfin il aime mieux se contredire que se suicider. Aussi s’inquiète-t-il fort