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Au milieu des dissentimens et des animosités qui agitent le monde politique, ne refusons jamais à la supériorité de l’esprit et du talent l’hommage auquel elle a droit. Pourquoi l’auteur de la Politique des Conservateurs s’est-il si souvent départi de cette équité, qui est à la fois un devoir et un plaisir ? Après avoir été injuste envers M. Molé, à plus forte raison devait-il continuer à l’être envers M. Thiers. Cependant est-il habile, est-il dans l’intérêt général de travailler à élargir la distance qui sépare en ce moment le chef du centre gauche de la majorité dont il était encore, il y a deux ans, un des plus puissans représentans ? Nous concevons autrement le langage qu’il y aurait à tenir. Vous parlez, dites-vous, au nom des conservateurs. Eh bien ! en leur nom, rappelez à M. Thiers et à ses amis les nombreux points de contact qu’ils ont gardés avec la majorité. Attirez-les à vous, au lieu de les pousser à gauche. Adressez-leur les reproches que, selon vous, ils méritent, mais sans exagération, sans violence.

Oui, on peut, non sans raison, déplorer le schisme qui s’est fait dans le sein de l’ancienne majorité. Il est fâcheux pour tous que des hommes éminens qui avaient si fort compté dans les rangs de cette majorité, s’en trouvent isolés aujourd’hui. Cette séparation n’a cependant pas été amenée par des dissidences radicales. L’ordre et la paix sont aussi bien dans les vœux du centre gauche que dans ceux des conservateurs. Le dissentiment ne s’est élevé que sur les moyens de consolider l’un et l’autre. Quand le 1er mars vint aux affaires, il inscrivit sur son drapeau le mot de transaction. Son chef donna lui-même à la tribune le commentaire de cette devise : pas de réaction, aucune exclusion de personnes, un esprit conciliateur, l’oubli d’anciennes querelles qui n’avaient plus d’objet. M. Thiers disait que cet esprit de conciliation et de transaction était partout, et ne se montrait pas moins dans les questions d’intérêt matériel que dans les questions politiques ; il ajoutait aussi que, depuis trois ans, on avait plus souvent discuté sur les mots que sur les choses. La chambre répondit à cet appel ; elle donna au ministère du 1er mars une imposante majorité de transaction. Il y a deux ans, à pareille époque, tout semblait promettre à ce cabinet une longue carrière, quand la fatale question d’Orient vint tout renverser. Le ministère du 1er mars ne fut pas heureux.

Sorti des affaires, le centre gauche eut une position difficile. Il n’appartenait entièrement ni à la majorité, ni à l’opposition. Dans la politique intérieure, il partageait les principes et les sollicitudes de la majorité pour la cause de l’ordre, et il s’associait aux griefs de l’op-