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est l’œuvre de Morelly, déjà entraîné sur ce terrain par une fiction intitulée la Basiliade, ou les Îles flottantes.

Ce Code de la Nature, auquel La Harpe, croyant s’attaquer à Diderot, donna quelque célébrité par une critique véhémente, a cela de caractéristique, qu’il contient, en termes exprès, toutes les combinaisons économiques dont plus tard s’inspira Babœuf. L’organisation matérielle de la communauté y est réglée dans les moindres détails et par articles. Ainsi, par la loi fondamentale, tout citoyen est déclaré homme public, devant être sustenté (le mot est textuel) entretenu et occupé aux dépens du public. Par la loi distributive, la nation est divisée en familles, tribus, cités et provinces. Les individus ne possèdent rien en propre, mais échangent entre eux les fruits de leur travail dans la mesure de leurs besoins. L’excédant des produits d’un district sert à combler les vides qui peuvent se présenter dans les districts voisins. Tout approvisionnement est interdit aux individus et aux ménages : on ne doit avoir sous la main que les choses immédiatement nécessaires. Quand les objets d’agrément se trouvent en trop petit nombre pour pouvoir être d’un usage universel, la distribution en est suspendue. Morelly consigne ici un singulier détail : pour les comptes, il veut que l’on emploie le nombre dix et les multiples. Sa réforme a eu au moins raison sur ce point, et il se trouve, dès 1755, le précurseur de notre système décimal. À la loi distributive Morelly fait succéder la loi agraire, qui établit une sorte de conscription forcée pour la culture du sol : tout citoyen y est voué de l’âge de vingt à vingt-cinq ans. La loi édile règle l’administration de la cité, la disposition des quartiers, la création des hôpitaux, des prisons, des asiles pour la vieillesse. Les lois de police gouvernent surtout le travail et en fixent la hiérarchie. Jusqu’à trente ans, les vêtemens sont uniformes. Le mariage est de rigueur à dix-huit ans. Chaque année, les adultes des deux sexes se réunissent sur la place publique, et, devant le sénat assemblé, les couples se choisissent avec une liberté entière. Les mères doivent allaiter leurs enfans ; mais, à l’âge de cinq ans, la communauté s’en empare. Les lois politiques constituent dans chaque cité un sénat, qui se compose de tous les pères de famille âgés de plus de cinquante ans ; le reste de la communauté a voix consultative. Chaque chef de famille devient à son tour chef de tribu à l’aide d’un roulement et pour un temps déterminé. Ce système de roulement, emprunté à Harrington, est le grand rouage politique de Morelly. Il sert à désigner des chefs de cité parmi les chefs de tribus, des chefs de province parmi les chefs de cité,