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LETTRES DE CHINE.

d’ames qu’elle a fondé dans l’Inde, la Nouvelle-Hollande colonisée ; continent isolé et destiné à devenir un jour une grande et belle nation ; la Nouvelle-Zélande, les îles de l’océan Pacifique, arrachées à la barbarie ; les populations de la péninsule malaise prenant graduellement des habitudes de commerce et entraînées dans cette large voie vers la civilisation ; la Chine enfin, ce monde si peu connu et que l’Angleterre tente aussi de faire entrer dans notre grande famille.

N’est-ce pas là, monsieur, un beau spectacle ? et qui mérite mieux le nom de grande nation que celle à qui le monde ne suffira bientôt plus ? Je l’avoue, il m’arrive quelquefois de secouer ces sentimens de jalousie nationale qui naissent pour ainsi dire et croissent avec nous, et de déplorer, comme homme, cette fatalité qui pousse l’Angleterre vers sa ruine. Je me sens tenté de regretter que ses forces ne soient pas égales à cette grande œuvre que la Providence semble lui avoir confiée, et que les moyens dont elle dispose pour l’accomplir soient entachés de ces vices inhérens à toute chose humaine, l’imperfection et l’instabilité. J’espère que vous me pardonnerez cette digression, dans laquelle je suis moins sorti de mon sujet qu’on ne pourrait le penser d’abord. Toutes les questions politiques sont solidaires l’une de l’autre, elles ont entre elles une connexion plus ou moins étroite, et l’affaire anglo-chinoise se rattache à la plus importante, à la plus grave de toutes les questions européennes, la crise commerciale et politique de l’Angleterre.

Je me trouve naturellement ramené aux évènemens qui font le principal sujet de cette correspondance. Je n’ai plus rien à vous dire du passé, et je vous ai promis tout à l’heure de vous dire mon opinion sur l’avenir de cette question. Je ne me dissimule pas toutes les difficultés du travail que j’aborde ; c’est au milieu des ténèbres que je vais chercher la lumière ; je n’aurai pas là de fil d’Ariane pour me guider, et, avant de commencer, j’éprouve le besoin de vous répéter ce que je vous ai déjà dit, que c’est mon opinion seule que je vous donne, et que je suis très loin, en vous soumettant mes idées, de prétendre à l’infaillibilité.

Nous avons vu le peu de progrès que l’Angleterre a faits jusqu’ici en Chine ; la campagne qui va s’ouvrir lui promet-elle des résultats plus heureux ? C’est ce que nous allons d’abord examiner. Vous pensez bien, monsieur, que le gouvernement anglais n’a pas publié ses plans de campagne, et que par conséquent nous allons nous livrer à de simples conjectures.

Les chefs de l’expédition n’ont que deux choses à faire : ou persévérer, si les affaires de l’Inde ne leur ont pas permis de réunir un nombre assez considérable de troupes de débarquement sur la côte de Chine, dans le système qu’ils ont suivi l’année dernière, c’est-à-dire arborer leur pavillon successivement sur toutes les grandes villes du littoral, arrêter les communications maritimes entre les diverses provinces, ruiner le commerce chinois, et enfin imposer de fortes rançons à toutes les villes qui seront en état de les payer ; ou bien ils peuvent opérer un débarquement à l’embouchure du Pei-ho, marcher sur Pékin, et là parler en maîtres au cabinet impérial.