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ainsi dire perdue ; on ne l’observait ni de part ni d’autre. Les Chinois relevaient activement leurs fortifications, concentraient de nouvelles troupes dans la province, et se préparaient évidemment pour l’attaque, ou du moins pour une défense énergique ; leurs efforts semblaient annoncer une plus grande expérience des choses de la guerre ; on supposait même qu’ils recevaient des leçons d’ingénieurs européens ; on nommait ces nouveaux auxiliaires, qui n’existaient, suivant moi, que dans l’imagination des journalistes. À la date des dernières nouvelles reçues de Canton, les diverses passes de la rivière étaient obstruées de manière à en rendre le passage difficile même pour les bateaux à vapeur, et tout faisait croire qu’une nouvelle attaque, si elle avait lieu, coûterait à l’Angleterre beaucoup plus d’hommes que celles de l’année précédente. Mais, ce qui étonnerait les personnes qui ne connaîtraient pas les détails secrets de cette guerre singulière, c’est la longanimité avec laquelle les Anglais ont laissé tous ces travaux s’achever presque sous leurs yeux. En vain la presse prenait-elle soin de signaler au plénipotentiaire, qui était revenu à Hong-kong, et au commandant des forces navales dans la rivière de Canton, les dispositions prises par les autorités chinoises : la division anglaise ne bougea pas, et les Chinois purent compléter leur œuvre sans qu’une seule démonstration de l’ennemi vînt les inquiéter. Cependant on était en guerre dans la rivière de Canton ; chaque jour les navires anglais arrêtaient quelques jonques chinoises, qui étaient menées à Hong-kong et y étaient vendues au profit des capteurs, et, tandis que ces choses se passaient, le commerce continuait toujours, les navires de commerce anglais traversaient tous les jours le Bocca-Tigris, et allaient à Whampoa, décharger leurs cargaisons et en prendre de nouvelles ; comme si on eût été en pleine paix. Souvent la jonque chinoise prisonnière qu’on conduisait à Hong-kong passait auprès du trois-mâts anglais qui allait solliciter des autorités de Canton la permission d’y échanger ses marchandises d’Europe contre les produits de l’empire céleste. Cette situation dure depuis plus de six mois sans que le gouvernement chinois ait fait la moindre remontrance contre une violation aussi flagrante des clauses de la convention conclue par M. Elliot au mois de mai 1841. N’est-ce pas là, monsieur, un singulier spectacle ? On verrait volontiers, dans cette tolérance peu désintéressée d’ailleurs des Anglais, le dessein arrêté de laisser la rivière de Canton tout-à-fait en dehors des opérations militaires ; mais alors que devient l’esprit de cette fameuse proclamation de sir H. Pottinger, dans laquelle il annonçait solennellement qu’aucune considération commerciale ne l’arrêterait dans l’exécution des mesures énergiques qu’il serait appelé à prendre ? C’était évidemment une menace adressée au commerce anglais à Canton, car c’était là seulement que les relations commerciales étaient ouvertes ; et d’ailleurs, si on voulait laisser libre le grand entrepôt du commerce étranger, pourquoi cette saisie journalière de pauvres jonques chinoises ? On avait déclaré, et c’était la base de la politique qu’on s’était sagement proposé de suivre, qu’on ne faisait la guerre qu’au gouvernement, et