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STATISTIQUE LITTÉRAIRE.

gaz : le gaz est un symbole. Mais c’est surtout pour la vapeur qu’elle garde toutes ses admirations et toute sa verve. Les poètes qui chantent les locomotives et les wagons montent leur luth au diapason du lyrisme. Un commerçant prend le chemin de fer, et ce commerçant, dit le poète,

Ravi, dans une heureuse extase,
Dans ce Mercure a vu son bienfaisant Pégase.

Ce Pégase, c’est la locomotive,

Monstre volé par l’homme à monsieur Lucifer
Pour le service actif de nos chemins de fer.

Après la locomotive, c’est le débarcadère, le point stationnal, et, comme pour le gaz, on dégage le symbole : la vapeur, c’est l’humanité !

La poésie sociétaire on phalanstérienne offre, sous le rapport du style ou de l’idée, les mêmes agrémens, la même délicatesse. Je conçois du reste l’empressement des bardes à travailler à la révolution harmonienne du globe. Plus que personne ils y trouveront gloire et surtout profit. On sait, en effet, que du moment où le globe sera organisé en six cent mille phalanges, la série littéraire de chaque phalange dressera chaque année un tableau des compositions et nouveautés d’art. Chaque production sera jugée dans chaque phalange, et si l’ouvrage est vraiment beau, on votera une petite gratification pour l’auteur. Si Virgile, Racine et Lebrun avaient vécu du temps des phalanstères, chaque phalange eût voté trois francs à Virgile, un franc à Racine et dix centimes à Lebrun, pour ses odes, ce qui eût fait 1,800,000 francs pour Virgile, 600,000 francs pour Racine et 30,000 francs pour Lebrun. De plus, on leur eût donné la décoration triomphale, en les déclarant magnats du globe. On conçoit, d’après cela, que les poètes qui, dans la civilisation, ont tant de peine à trouver un libraire, se rallient à un système qui leur fait un si beau traitement et un si bel avenir ; et il en est en effet qui s’y sont ralliés avec candeur, avec enthousiasme. Nous qui n’aspirons pas à nous grouper, à devenir magnats du globe, pauvres bourgeois qui nous contentons de ce monde tel que Dieu l’a fait, que sommes-nous ? des avares, des égoïstes, des envieux, parce que nous ne comprenons pas l’harmonie. Nous souffrons, nous sommes malades, moroses, et nous croyons sottement que les souffrances morales et les infirmités physiques sont éternelles et inévitables, et qu’il y a là une énigme dont Dieu seul sait le mot. Folle erreur ! Groupons-nous, et nous nous porterons bien ; groupons-nous, et nous vivrons en paix, attendu sans doute que plus les assemblées sont nombreuses, moins les avis sont partagés. Or, le poète, qui devance l’avenir, voit tous les hommes groupés. Il n’y a plus de villes. Paris a déménagé tout entier. C’est l’âge d’or. « La dette de l’Angleterre est payée en six mois avec le produit des œufs du globe, et les phalanstères font chaque année 50 millions d’économie sur les allumettes. » Le baromètre est toujours au beau fixe. Les blés sont superbes, et on les coupe, non plus au son du chalumeau comme dans la pastorale clas-