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nité et la conscience, se multiplient et se prolongent ! Comment ce contraste ne vous effraie-t-il pas ? Je vais vous le dire. Trompés vous-mêmes sur le mécanisme d’une société politique, vous avez cherché une régénération par les moyens d’une dissolution ; vous renversez journellement vos principes, et vous apprenez au peuple à les braver ; vous détruisez constamment d’une main ce que vous édifiez de l’autre. Il n’est aucun homme raisonnable qui prenne confiance en ce que votre constitution lui promet de sûreté et de liberté individuelle, de liberté de conscience, de respect pour les propriétés, tant qu’il en verra la violation. Ainsi vos comités de recherche, les lois sur les émigrans, les sermens multipliés et les violences qui les suivent, la persécution des prêtres, les emprisonnemens arbitraires, les procédures criminelles des accusés sans preuves, le fanatisme et la domination des clubs, tout cela doit disparaître à la présentation de la constitution, si vous voulez qu’on l’accepte librement et qu’on l’exécute… »

À la suite de ce discours, Malouet proposa un projet de décret qui n’était qu’une condamnation de l’état de la France et un rappel aux principes éternels de légalité, de propriété et de liberté. Cette proposition fut écartée avec emportement et la constitution votée. Bientôt après l’assemblée se sépara, la tribune fut fermée à Malouet, et la révolution resta en face d’elle-même.

Ainsi a commencé, lutté et péri ce premier parti constitutionnel né du mouvement national de 1789. Pour si incomplètes qu’aient dû être nos citations, nous croyons en avoir dit assez pour prouver son identité avec le parti qui a fini par l’emporter de 1815 à 1830. À l’aspect de ce retour frappant de l’histoire, on ne peut s’empêcher d’être saisi de tristes pensées. Pourquoi tant de luttes, de crimes, de guerres, de sanglans déchiremens, pour revenir ainsi sur ses pas, heureux de retrouver à la fin de la route l’asile dont on n’a pas voulu au départ ? Combien la France moderne n’eût-elle pas été plus pure, sans être moins grande, si elle avait reconnu à temps sa véritable destinée, et que de malheurs elle eût évités si elle s’était gardée contre ses excès ! Quand nous regardons en arrière, nous trouvons ces cinquante années bien pleines à la fois d’angoisse et de gloire ; nous pourrions les trouver plus belles encore et moins douloureuses. Qui sait à quel faîte d’honneur, de puissance, notre chère patrie serait montée, si les bienfaits qu’elle a apportés au monde avaient été mêlés de moins de sang et de pleurs ! Sans doute il y aurait toujours eu dans cette immense rénovation l’inévitable part de l’infirmité humaine,