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LES MONARCHIENS DE LA CONSTITUANTE.

idées de Mounier ; la plupart d’entre eux se laissèrent intimider par les démonstrations populaires. La première question qui fut mise aux voix fut celle de la division du pouvoir législatif. Sur 1,200 membres, 710 seulement prirent part à la délibération ; 499 se prononcèrent pour une chambre unique, 89 pour deux chambres, 122 s’abstinrent de voter comme n’étant pas suffisamment éclairés. Ainsi on peut affirmer que la proposition des deux chambres aurait eu pour elle 700 voix si l’assemblée avait été libre, et que tout le monde eût fait son devoir. Ce fut une minorité numérique qui devint la majorité par l’absence et la fuite de la majorité véritable. Ce vote fatal eut lieu le 10 septembre. Le lendemain, il arriva ce qui arrive toujours après ces jours de lutte décisive où un premier avantage est obtenu. La majorité contre le projet s’accrut de ces voix flottantes qui vont où elles croient trouver la force ; le 11, la question du veto fut posée ; 673 voix se prononcèrent pour le veto suspensif et 385 pour le veto illimité. Ce vote consommait la ruine de la première tentative faite en France pour l’établissement de la liberté politique ; le tour de la seconde ne devait venir que vingt-cinq ans après.

Après les scrutins des 10 et 11 septembre, Mounier désespéra. Il donna immédiatement sa démission de membre du comité. Lally-Tollendal, Bergasse et Clermont-Tonnerre en firent autant. Après l’avoir lâchement abandonné au moment décisif, ses collègues voulurent au moins lui donner une dernière preuve de leur estime en l’élevant à la présidence. C’est lui qui présidait lors des fatales journées des 5 et 6 octobre. Il eut la douleur de voir la salle de l’assemblée nationale envahie par la populace, et se montra avec honneur dans cette catastrophe qu’il n’avait pu empêcher. Le premier jour, Mirabeau étant monté au bureau pour lui dire que quarante mille Parisiens marchaient sur Versailles, il refusa intrépidement de lever la séance : « Qu’ils viennent, dit-il, et qu’ils nous tuent tous, oui tous ! les affaires de la république en iront mieux. » Réponse toute personnelle qui fit reculer Mirabeau. Le lendemain, le même Mirabeau ayant dit que la dignité de l’assemblée ne permettait pas aux députés de se rendre au château pour entourer le roi : « Notre dignité, répondit Mounier, est de faire notre devoir. » Mais, s’il résistait encore, il ne croyait plus au succès. Découragé, il ne voulut pas assister à des malheurs qui lui paraissaient inévitables. Il quitta, dès le 9 octobre, l’assemblée et Versailles. Il se rendit d’abord à Grenoble, puis en Suisse. C’est de là qu’il assista au drame sanglant de la révolution. En 1792, il publia le plus important de ses ouvrages,