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députés du tiers et ceux des deux autres ordres, la délibération des trois ordres en commun, le vote par tête. On a trop oublié quel fut dans toute la France l’immense retentissement de ces décisions. Dans l’enthousiasme universel qui accueillit les actes des états du Dauphiné, le nom de leur secrétaire fut porté aux nues. Mounier devint le représentant du mouvement, le symbole vivant des espérances qui agitaient tous les esprits. Le tiers-état ne fut pas le seul à lui rendre hommage ; des membres éminens de la noblesse et du clergé s’honorèrent en l’honorant, et le roi lui-même fit complimenter les états du Dauphiné sur la sagesse qui avait présidé à leurs travaux.

Ce moment passa bien vite dans le tourbillon qui entraînait alors la France, mais il n’en fut pas moins grave et solennel. C’était déjà une grande conquête que le triple principe qui avait vaincu à Vizille, l’esprit nouveau parut quelque temps n’avoir d’autre but que d’obtenir pour la nation entière ce qu’une de ses provinces venait de se donner. Doubler le nombre des députés du tiers, c’était lui donner en réalité la majorité sur les deux autres ordres réunis ; admettre la délibération en commun, c’était détruire la distinction des ordres et les confondre dans l’unité de la nation ; établir le vote par tête, c’était proclamer l’égalité des individus après la fusion des classes. Mounier ne s’en tenait pas là cependant ; pour lui, ces nouvelles mesures n’étaient qu’un moyen pour arriver à la rédaction d’une constitution définitive. Il développa son opinion dans une brochure qui parut au commencement de 1789, sous le titre de Nouvelles Observations sur les états-généraux. Cette brochure occupe une place à part parmi les innombrables écrits du même genre qui paraissaient alors ; elle révèle un de ces esprits calmes, sérieux et forts, si rares dans les temps de révolution, qui savent assigner d’avance à l’impulsion publique sa portée légitime, l’exciter et la contenir à la fois, et lui montrer, dans le point qu’elle a droit d’atteindre, celui où elle doit s’arrêter.

On a dit souvent, pour combattre les opinions de Mounier, qu’il n’avait eu d’autre pensée que d’importer en France la constitution anglaise. Cette accusation n’est pas exacte. Le système que Mounier essaya de faire triompher n’était pas autre chose dans l’ensemble que ce que nous avons aujourd’hui. Sans doute il proposait ce qu’il y a de commun entre notre constitution politique actuelle et celle de l’Angleterre, mais il proposait en même temps ce qui s’y trouve d’original et de particulier. La ressemblance est dans les formes du gouvernement, qui se compose également, dans les deux pays, d’un roi