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rope, sans aller toutefois jusqu’à racheter les troupes de Bulgares qui avaient été enlevés et vendus au fond de l’Albanie. Elle envoya ensuite dans le pachalik de Sofia son commissaire Teifik-Bey, pour connaître, disait-elle, les griefs des révoltés et y faire droit. Ces griefs pouvaient être aisément formulés : les insurgés voulaient des staréchines choisis dans la nation, des impôts réguliers, l’abolition de l’avanie, l’expulsion des fermiers arméniens qui spoliaient le pays au nom des pachas ; ils voulaient aussi des évêques qui comprissent au moins leur langue. Malheureusement la Porte appela la corruption à son aide, et l’or distribué aux lâches commença la défection : la majorité de la nation était découragée par la réprobation officielle qu’avaient fait peser sur elle les agens russes et tous les consuls. Quelques rêveurs lettrés invoquaient encore la France, et voulaient qu’on demandât sa médiation. Les plus sages, hélas ! traitaient cette demande de folie. Le seul cabinet serbe, reprenant le rôle qu’il avait joué en 1838, écrivait au divan pour protester contre les atroces cruautés de Moustapha, et se posait en protecteur des vaincus : 7 à 8,000 réfugiés furent reçus dans la quarantaine serbe d’Alexinats, d’autres se retirèrent en Moldavie et en Valachie. Au nombre de 600, d’autres disent 1,500, ils essayèrent bientôt de repasser le Danube à Braïla, mais un corps de troupes valaques marcha contre eux, les mit en déroute, et, depuis ce temps, l’ordre règne en Bulgarie.

Il serait imprudent de se flatter qu’il y régnera long-temps : qu’on interroge en effet l’histoire de ce pays. Pendant bien des années, les haïdouks y ont seuls protesté contre le joug turc. En 1821, ces guerriers indépendans avaient commencé à combattre d’une façon régulière ; en 1838, l’insurrection avait gagné les classes les plus paisibles, mais seulement sur certains points, sans que la majorité des Bulgares prît encore part au mouvement. Enfin, en 1841, l’incendie devint général, toutes les provinces de la Bulgarie se soulevèrent simultanément. Pendant que les haïdouks de Sofia bloquaient Nicha, ceux de la Zagora bloquaient Kirk-Kilissé, et ceux du Dobroudja fermaient les gorges de Choumla. L’appui des grandes puissances a sauvé les Turcs ; cependant leur ruine n’est qu’ajournée, s’ils continuent de refuser toute satisfaction aux rayas, et si, au lieu d’écouter de justes griefs, ils irritent sans cesse les vaincus par de nouvelles avanies, comme ils font en Bulgarie depuis leur dernier triomphe.