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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

y conquirent deux canons, et occupèrent ce défilé, qui leur ouvrait un passage vers Sofia et Constantinople. Miloié cernait alors Nicha avec plus de dix mille paysans ; c’étaient les mêmes qui avaient déjà bloqué Jarkoï, et qui, sans autres armes que des massues, des socs de charrue et des haches, demandaient de nouveau pour leur pays une constitution meilleure que celle de Gulhané. Mais le moine bulgare Kepa, envoyé à Belgrad pour solliciter, en faveur de ses compatriotes, l’intervention des consuls européens, et notamment du consul de France, revint apportant aux Bulgares la nouvelle que partout il avait été mal reçu, et que l’Europe entière, sans même excepter la France, les condamnait.

En même temps, six mille Albanais, conduits par Iacoub-Pacha, et quelques régimens du Nizam, sous Hussein de Vidin, s’avançaient à marches forcées pour dégager la citadelle de Nicha. Ils trouvèrent les révoltés retranchés sur la Morava, au village de Leskovats. Après plusieurs sanglantes escarmouches, les Bulgares, quoique mal armés, risquèrent enfin une action générale, et, après une lutte acharnée, se dispersèrent, laissant trois cents morts et une foule de blessés sur le champ de bataille. Miloié, qui protégeait la retraite, cerné à une lieue de Nicha, n’eut que le temps de se jeter avec les quinze braves qui lui restaient dans la koula de Kamenitsa, près du village de Matievats. Quoique cette tour ne fût point fortifiée, les Turcs n’osèrent lui livrer assaut, et firent venir de Nicha une batterie de dix pièces, qui, après une canonnade de vingt-quatre heures, démolit entièrement la koula. Miloié, couvert de blessures, n’ayant plus d’espoir d’échapper aux Turcs, se tua lui-même d’un coup de pistolet, pour débarrasser du soin de le défendre cinq ou six de ses camarades encore sains et saufs. Libres alors, ceux-ci se firent jour le sabre à la main vers les forêts voisines.

Si peu qu’elle eût duré, cette guerre avait déjà causé une telle disette dans les forteresses de la Bulgarie, que le pain s’y vendait trois piastres l’oka. Pour peu que la lutte se fût prolongée, toutes les villes auraient été forcées de capituler par famine. Mais les haïdouks, qui seuls pouvaient continuer la guerre, n’avaient plus de chef : ils ne tardèrent pas à se désorganiser, et les plus intrépides d’entre eux passèrent en Macédoine, où ils s’unirent aux klephtes grecs.

La Porte sut mettre à profit la désapprobation tacite qui pesait sur les haïdouks ; elle commença par destituer le gouverneur de Nicha, qui, dans ses sorties, avait commis d’atroces razzias, et mit beaucoup de soin à se justifier de ces attentats auprès des cours de l’Eu-