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commencer leur guerre de délivrance. Tout ce que les Serbes osèrent faire, ce fut de leur livrer six cents okas (1,400 livres environ) de poudre et quelques armes, avec lesquelles les deux héros bulgares se préparèrent à la lutte. Toutefois, ils envoyèrent d’abord, au nom et de l’avis de leurs concitoyens, des députés à Stamboul, pour implorer de leur cher sultan un allégement au sort affreux que leur imposaient les beys et les spahis. Saisis à Philibé, les envoyés bulgares furent ramenés chargés de chaînes au gouverneur de Nicha ; ils allaient même être mis à mort, lorsque leurs compatriotes obtinrent à prix d’or, de l’avare Moustapha, la grace des prisonniers. Ce pacha écrivit au divan une lettre qu’il fit signer par l’évêque et le clergé de Nicha, et où il représentait la révolte des paysans comme une émeute sans motif raisonnable. Cependant les injustices des chefs musulmans étaient si criantes, que les marchands turcs eux-mêmes prirent le parti des chrétiens, et allèrent demander pour eux justice à Moustapha, qui les renvoya avec colère.

Les Bulgares s’étaient retranchés dans le défilé de Kotna-Bogaz, où l’évêque de Nicha et ses prêtres vinrent les rappeler à l’obéissance. Ce fut en vain. Bientôt, les rebelles du pachalik de Vidin, chassés par les forces supérieures de Hussein, s’étant joints à leurs frères de Nicha, de Jarkoï et de Vrania, l’insurrection devint sérieuse. Moustapha commença à trembler, et fit prier très humblement le prince de Serbie d’intervenir pour lui auprès des rayas. Le prince Mikhaïl convoqua en hâte le sénat national, qui, sous la présidence d’Éphrem Obrenovitj, et en dépit des cris de la nation, conclut qu’il fallait garder la plus stricte neutralité. Mikhaïl, en conséquence, lança une proclamation menaçante contre tous ceux de ses sujets qui se mêleraient à la révolte bulgare, et borda de troupes sa frontière, pour couper toute communication avec les insurgés. Pendant ce temps, les troupes irrégulières des pachas brûlaient plus de cent cinquante villages entre Sofia et Nicha, empalant les hommes, déshonorant les femmes, puis les jetant dans les flammes qui dévoraient leurs chaumières, ou les emmenant comme esclaves. De tous côtés, les Bulgares fuyaient vers les montagnes, en criant : Choumo ! c’est-à-dire, allons dans les choumas (forêts), devenons haïdouks. Deux mille cavaliers poursuivirent dans leur retraite les haïdouks bulgares, qui se montrèrent cette fois dignes de leurs aïeux. De tous les fiers spahis, trente à peine échappèrent. Les vainqueurs chassèrent également les Turcs de Derbend ou Corvingrad ; puis, ayant surpris le fort d’Ak-Palanka, qui n’était gardé que par six familles arnautes, ils