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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

afin de rétablir le véritable islamisme ; peut-être même comptait-on, pour assurer le succès de l’entreprise, sur l’appui du padichah du nord.

Une démoralisation si complète des Ottomans exalta au plus haut point les espérances des Bulgares. À peine s’était-il écoulé quelques années depuis cette guerre qu’une vaste association s’ourdit silencieusement en Bulgarie, propagée par les didaskales, hommes lettrés et pédagogues des villages. Cette mystérieuse hétairie bulgare, dont l’Europe n’a point eu connaissance, tenait ses délibérations dans les couvens et les forêts qui avoisinent Ternov. C’est là que les conjurés se rendaient de toutes parts sous prétexte d’assister aux fêtes de la Panagia (vierge Marie). Le jour ils parcouraient les tentes des paysans, la douce slivovitsa coulait versée par les jeunes filles, on portait le na-zdravié (toast) à l’avenir du peuple, on entonnait des chants patriotiques. Le kolo, danse du cercle, où tous les bras unis représentent l’irrésistible force d’une volonté commune, exaltait l’enthousiasme de la multitude. La nuit venue, les initiés se réunissaient dans les cimetières des couvens ; ils y priaient, ils y recevaient les nouveaux convertis qui juraient, la main sur les tombes des aïeux, de mourir pour leur patrie. Le matin, quand l’aurore éclairait ces lieux funèbres, qui couvrent d’ordinaire le versant oriental des collines, toute cette jeunesse saluait le soleil levant avec des cris d’espérance. Telles étaient, de 1834 à 1838, ces nuits bulgares, nuits ignorées qui n’ont point eu d’historien, mais qui seront glorieuses un jour.

Au printemps de 1837, il prit envie au padichah d’aller visiter ses forteresses de Bulgarie. Après avoir examiné les augures et consulté les astrologues, il se mit en route avec sa cour. Partout il s’efforça de témoigner un égal amour aux Bulgares et aux Osmanlis ; partout il harangua éloquemment les musulmans et les rayas sur la nécessité de vivre unis. Les pauvres Bulgares tâchaient de répondre à cet amour officiel par des manifestations qui n’étaient guère plus sincères. Les marchands grecs sortaient des villes, au-devant de l’empereur, avec des branches de laurier, et les Arméniens avec des cierges, en criant : Machallah, Dieu le protège ! Les Bulgares des villages se prosternaient dans la poussière devant leur tchorbadchia (seigneur de la vie). Mais, comme par une amère dérision, les rayas n’avaient jamais tant souffert des corvées : ils étaient traqués et poussés par troupeaux, ainsi que des bêtes de somme, aux forteresses, pour y achever en toute hâte, avant l’arrivée de Mahmoud, les travaux que l’avarice des pachas avait ajournés jusqu’alors. L’hétairie