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Retiré en 1792 dans son fief de Krdché, Pasvan y organisa les fameuses bandes des Krdchalis, que vinrent grossir les déserteurs du corps des janissaires. Pour mettre fin aux affreux ravages de ces bandes, le sultan déclara leur chef firman lia (excommunié) ; sa tête fut mise à prix, et il n’échappa aux assassins envoyés par la Porte qu’à l’aide d’un déguisement. Un de ses serviteurs périt à sa place, et la tête de cet esclave, qu’on prit pour celle de Pasvan, fut exposée aux portes du sérail. Mais, pendant que Stamboul se réjouissait de la mort du chef des brigands, on apprit soudain que le prétendu mort, à la tête de 10,000 janissaires, venait de s’emparer de Vidin, où il avait fait pendre tous les complices du meurtre de son père, et que, n’ayant plus d’autre ressource que la victoire, il avait porté ses armes sur les terres des pachas voisins. Bloqués, dépouillés par les mercenaires de Pasvan, ces pachas poussèrent sous main les rayas à s’armer contre les Krdchalis. Alors seulement, et après trois siècles de léthargie, les Bulgares eurent la conscience de leurs forces ; toutefois ce réveil prématuré ne leur profita point : les chefs intelligens leur manquèrent, ils agirent sans unité, et l’anarchie continua. Le pays fut occupé par deux milices différentes, celle des Krdchalis, formée de soldats musulmans, et celle des haïdouks, la plupart chrétiens. Les villes qui, résistant à Pasvan, se mettaient sous la protection des haïdouks, étaient souvent rançonnées par eux quand ils avaient échoué dans leur attaque contre quelque citadelle des Krdchalis, dont le pillage devait leur procurer des moyens de subsistance. Pendant dix ans qu’ils restèrent maîtres du plat pays, ils ne surent y organiser aucun gouvernement régulier, et cependant toutes les villes, excepté les places fortes, leur étaient ouvertes. La grande Andrinople même n’osait leur résister ; ils y entraient librement, quelquefois au nombre de quinze mille. Il fallait alors trouver et faire rôtir à l’instant sur les places publiques des centaines de bœufs pour ces enfans du désert, qui, bien repus, s’en retournaient dans les gorges et les forêts du Balkan.

Également maltraités par les uns et les autres, les citadins en vinrent à confondre dans un égal mépris et Krdchalis et haïdouks : ils les appelaient enfans nus (golatji) ; c’étaient les sans-culottes gréco-slaves. Parmi ces enfans perdus, il y avait pourtant de nobles cœurs, de vrais enfans de la patrie ; mais comment auraient-ils pu organiser le chaos qui les entourait ? Le seul Pasvan Oglou le pouvait, si son ambition ne l’eût poussé à lâcher les rênes aux Krdchalis, au lieu de les réprimer. La florissante cité de Voskopolis, peuplée de cin-