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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

maître du spahilik, sans être noble, puisque le Koran proscrit la noblesse, transmet néanmoins ses droits à sa postérité à la seule condition de monter à cheval et d’aller en guerre au premier appel du sultan. Il ne se montre guère dans son fief qu’en automne, temps de villégiature pour les anciens Byzantins ; il habite alors sa blanche koula, tour carrée à plusieurs étages en bois, avec des galeries qui surplombent et un pavillon ouvert de tous côtés et d’où l’on domine la campagne. La douceur des Bulgares encourage souvent les spahis à exercer contre eux les plus odieuses vexations, quelquefois même à enlever de force les femmes qui leur plaisent pour en faire leurs concubines. Dans certains districts, comme celui de Sofia, qui, grace au voisinage des Serbes, est le plus libre de la Bulgarie, les paysans avaient, par leurs dernières révoltes, obtenu l’abolition des dîmes et l’émigration des spahis ; mais ils sont tombés sous le joug des soubachis, officiers des pachas, qui, couvrant la contrée d’un réseau de postes militaires, viennent à main armée lever l’impôt et contraindre le peuple aux corvées et aux travaux des citadelles. Cependant la modération des Bulgares est telle qu’ils se louaient généralement, en 1840, du pacha de Sofia, Seïd. — Le pacha, disaient ces bonnes gens, n’a d’autre défaut que de nous enlever le plus d’argent qu’il peut, mais il fait respecter par tous ses agens notre honneur et nos femmes.

Les redevances acquittées envers le spahi ne sont du reste nullement comprises dans les impositions que le Bulgare doit à son tsar (nom par lequel il désigne le sultan) ; ces impôts sont de deux espèces : ils pèsent sur les personnes et sur les biens. Chaque tête de Bulgare est imposée par an à quinze ou vingt piastres ; mais, comme chaque commune répartit l’impôt sur ses membres, les riches paient souvent jusqu’à cent piastres de capitation, et les pauvres quelquefois en sont entièrement exempts. Il n’en est pas de même de l’impôt sur les terres, qui ont été taxées une fois pour toujours dans les anciens cadastres de l’empire ; ces taxes ne changent point, et, comme certains terrains vont se détériorant, tandis que d’autres donnent un rapport toujours croissant, telle pauvre famille est souvent cotée à mille piastres par an pour des terres qui lui rapportent à peine cette somme en revenu net, et qu’elle ne garde que par respect pour la mémoire de ses pères, dont les sueurs ont arrosé son patrimoine. Aucune espèce de propriété n’est épargnée ; ne possédât-il que sa femme, le Bulgare doit déjà payer au moins cent piastres pour l’usufruit de cet unique bien.