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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

seau dont l’eau miraculeuse guérissait toutes les maladies. Ils vont encore, en secret, dans les ruines du monastère ; ils allument des cierges, la nuit, sur la place où fut l’autel, et boivent à la source de leur patrone ; mais, depuis sa profanation, cette eau a perdu ses vertus.

C’est ainsi que presque tous les torrens, en Bulgarie, ont à leur source un monastère, un ermitage caché dans les rochers, et dont le patron est comme leur génie tutélaire. Dans les hauts balkans, on voit souvent des ruines d’arcades monastiques s’incliner sur le petit lac d’où s’échappe le ruisseau qui va féconder les moissons de la vallée. On s’étonne du zèle qu’apportent les plus faibles communes bulgares à entretenir sur ces torrens une foule de petits ponts de pierre, les uns en plein cintre et à dos d’âne, les autres à gracieuses ogives ; on trouve de ces ponts même dans les solitudes les plus sauvages. Mais, dès que commencent les pluies d’automne ou de printemps, tous ces sentiers et les ponts qui les unissaient disparaissent sous d’immenses nappes d’eau. Malheur à celui que ces cataclysmes périodiques surprennent en voyage ! Il lui faut parfois chevaucher, dans ces vallées, des heures entières avec de l’eau jusqu’à la selle.

Tous ces défilés de la Bulgarie centrale aboutissent aux bassins arrosés par les rivières du Strouma et du Kara-Sou. Ces bassins, où l’on remarque les terrains les mieux cultivés de toute la Turquie européenne, forment la cinquième et dernière province bulgare, aujourd’hui enclavée dans la Macédoine, dont elle est la partie orientale. Il faut bien distinguer la partie de la Macédoine où vivent les Slaves bulgares de celle qu’habitent les Slaves d’origine serbe, établis dans les districts du nord-ouest. Les tribus des pasteurs serbes sont d’ailleurs séparées des laboureurs bulgares de la Macédoine orientale par la population grecque, qui occupe les parties centrales et maritimes de ce grand pays. Les laboureurs bulgares, au nombre de deux à trois cent mille, peuplent jusqu’à leur embouchure les bords du Kara-Sou et du Strouma, qui vont se jeter, en face des îles de Thasos et de Samothrace, dans ce même archipel où se perd la Maritsa. Leur chef-lieu est Sères (l’antique Serra des Grecs), ville d’à peu près quinze mille ames, dont ils alimentent les riches manufactures. Sères communique avec Sofia par une route qu’on est étonné de trouver si bien entretenue, malgré les ravages du Strouma, dont elle côtoie souvent les bords. Si ce petit fleuve était enfin rendu navigable, et qu’on canalisât le lac de Takinos ou d’Orfano, par lequel le Strouma se jette dans la mer, en établissant