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suivant l’usage, en plomb, elle ferait un bel effet si elle n’était masquée par un amas de rues sales. La nation[1] des Paulianistes occupe tout un grand faubourg séparé de la ville. Les juifs ont de même leur quartier à part auprès du quartier grec et de son humble cathédrale. Ces juifs, venus d’Espagne comme presque tous ceux de la Turquie, sont de beaux hommes, au teint très blanc, à la barbe longue et noire ; leurs femmes se distinguent surtout par une éclatante beauté que relève la magnificence un peu étrange de leur parure. La diversité des peuples réunis dans l’enceinte de Philibé se révèle non-seulement par la distinction établie entre les quartiers, mais encore par la différence du costume et même des couleurs. Il n’est pas jusqu’aux maisons qui ne portent des couleurs conventionnelles. Celles des Turcs étaient naguère encore les seules qui pussent être peintes en rouge ; celles des rayas devaient avoir une couleur terne et sombre comme la destinée de leurs habitans. Les habillemens gris sont encore aujourd’hui l’apanage du Bulgare ; mais les petits maîtres turcs, nombreux à Philibé, ne tirent plus vanité que de leurs redingotes franques et de leurs pantalons blancs, sous lesquels, par un goût singulier, ils laissent paraître dans leurs souliers découverts les pieds nus du Tatar.

Philibé n’a pas plus de quarante mille habitans, malgré ses riches manufactures de laine et son commerce de transit si actif, que, seule entre toutes les villes de la Turquie européenne, elle a établi pour communiquer avec Édrené et Bazardjik un service régulier de diligences suspendues seulement, hélas ! sur leur essieu, et où il faut s’asseoir les jambes croisées. Les Grecs tsintars sont peut-être à Philibé plus nombreux que les Bulgares même ; aussi enseigne-t-on le grec dans toutes les écoles chrétiennes. Les Grecs ont compris l’admirable position de cette place, dont le commerce de la Méditerranée pourrait tirer un si grand parti. En effet, dès que les Bulgares auront réussi à canaliser la Maritsa jusqu’à Enos, Philibé deviendra le principal comptoir de leurs exportations. Malheureusement le fleuve est encombré de bancs de sable qui ne permettent jusqu’à présent d’y faire naviguer que des bateaux plats. En outre, le long demi-cercle que ses eaux décrivent en tournant la chaîne du Rhodope est pour Philibé un grave inconvénient ; sans ce détour, il est vrai, le fleuve des Bulgares ne passerait point par Andrinople,

  1. Terme du pays, synonyme de communion. — Les Paulianistes sont des Bulgares devenus catholiques latins, et qui ont conservé quelques vestiges du rite grec.