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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

dans cette arche du désert : il y a les huttes aux poules, aux moutons, aux porcs, aux bœufs, aux chevaux. Au milieu des nombreuses dépendances de son habitation, le paysan bulgare occupe une cabane qui lui sert à la fois de cellier, de grenier, de cuisine et de chambre à coucher. On y dort sur des fourrures étendues par terre autour du foyer, trou circulaire creusé au centre de la chambre. Ces habitations obscures n’élèvent guère que leur toit au-dessus du sol ; on y descend par un escalier de quelques marches, et les portes sont si basses, qu’il faut se courber pour les franchir. Néanmoins ces pauvres maisons sont aussi propres, aussi ornées à l’intérieur qu’elles peuvent l’être, grace à l’infatigable baba (ménagère bulgare), pour qui l’occupation est si nécessaire qu’elle file sa quenouille même en faisant la cuisine, même en portant au marché ses denrées. La cicogne mélancolique perche d’ordinaire sur ces huttes pyramidales, comme sur la cheminée du paysan polonais ; debout sur ses longs pieds, couvrant son vaste nid des jours entiers sans que le moindre mouvement, le moindre cri trahisse son existence, cet oiseau sacré de l’Orient est un des plus frappans symboles de la civilisation asiatique.

Si des villages on passe aux villes, on peut s’assurer qu’elles sont encore, en Bulgarie, ce qu’étaient les primitives cités slavones. Une ville bulgare se compose ordinairement de trois parties distinctes : le grad ou la forteresse, ville haute, tout-à-fait isolée ; le varoch, ville basse, quartier de l’industrie et des marchands, ceint le plus souvent d’un fossé avec un parapet crénelé et des portes qui se ferment la nuit ; enfin la palanke, troisième enceinte, entourant le varoch et contenant les faubourgs habités par le bas peuple. Cette partie extérieure de la ville n’est protégée que par un simple talus avec palissade en troncs d’arbres plantés debout. Ces trois enceintes constituent en Orient la cité complète ; il y a cependant des villes qui ne peuvent s’appeler que grad ou forteresse, ou qui sont seulement varoch, ville de commerce sans fortifications ; il y a enfin de simples palankes, villettes palissadées. En dehors de chaque ville considérable s’étend, selon l’usage antique, un espace désert consacré exclusivement aux tombeaux, dont les longues files, au bord des sentiers, représentent la cité des mânes ou des ancêtres.

Le sceau de nationalité des villes bulgares, le caractère spécial qui les distingue des autres cités de la Turquie, est peu saisissable au premier coup d’œil ; cependant un examen plus attentif dénote au voyageur les habitudes champêtres de la population. Il règne moins