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à l’entraînement qui l’accompagne, car il y a bien aussi quelque sorte d’ivresse dans les plaisirs de l’esprit. » — La machination tramée par le ministre, et qui manque de briser l’existence des personnages qui lui restent le plus chers, ne fait que retarder de peu sa chute. Sa vieille amie, la comtesse de Lémos, lui avait dit : « Prenez-y garde, l’intrigue, quand elle complique, n’est plus un moyen, c’est une difficulté de plus. » Au moment de sa retraite et de son voyage à travers les belles campagnes qu’il n’a pas aperçues depuis si longtemps, et où se promène avec une ombre de sourire son regard éteint, je salue une haute pensée : « Dans tous les malheurs qui nous arrivent, il se rencontre un moment douloureux qu’on doit se hâter de franchir : c’est comme un passage obscur et difficile, une sorte de portique entre le désespoir et la résignation ; j’y placerais précisément l’inscription contraire à celle que le Dante a mise aux portes de l’enfer. Une fois au-delà, l’esprit mieux rassis mesure ses pertes et s’aperçoit des consolations qui lui restent. Pour un ministre en retraite, ce moment doit se trouver dans le premier jour, ou dans la première nuit, qui suivent sa disgrace… » Il faut souhaiter à tous nos ministres qui sont tombés, ou qui tomberont, de franchir en un jour, ou en une nuit, ce passage souterrain, qui, comme celui du Pausilype, doit leur rendre si vite la vue des plus beaux cieux.

Je ne fais que courir sur un sujet dont tous ne peuvent juger comme moi, et où les preuves seraient trop longues à produire. Il y aurait eu à citer pourtant des scènes vraiment touchantes et profondes, dans lesquelles cette reine si enchaînée par l’étiquette, se laissant prendre au semblant d’affection que tout le monde autour d’elle prête à don Alphonse, trahit devant lui sa faiblesse de femme et ne peut étouffer ses larmes. En somme, si les Lettres espagnoles ont manqué d’autre chose encore que de la publicité pour être un beau roman, c’en était une très belle étude.

Nous arrivons au dernier écrit de Mme de Rémusat, à son livre sur l’Éducation des Femmes, publié par son fils. Assez ordinairement les femmes sérieuses et sensibles sont très frappées, dans leur jeunesse, de l’obstacle que le monde oppose aux sentimens vrais, aux affections naturelles, et plus tard des entraves qu’il met, pour leur sexe encore, aux études et aux pensées suivies, aux applications sérieuses et profondes. De là elles sont tentées de faire des romans de sentiment quand elles sont jeunes, et plus tard des plans d’éducation. Pour Mme de Rémusat en particulier, tout un concours de considérations et de circonstances dut contribuer à donner ce dernier tour à sa ma-