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entière est presque toujours la réponse que nous croyons devoir à la plus simple apparence de leur intérêt. » Je m’étonnerais bien s’il n’entrait pas quelque souvenir assez présent, et même d’en-deçà des Pyrénées, dans le récit de cette course de campagne qu’imagine la reine, pour reposer le roi malade et le distraire des affaires et de l’étiquette : « En effet, dès notre arrivée à Aranjuez, le roi nous annonça que, se fiant à notre respect, le cérémonial serait suspendu, et que chacun aurait la liberté d’agir à peu près à sa propre fantaisie. Vous, ma sœur (c’est une lettre d’Alphonse), dont l’humeur est parfois tant soit peu railleuse à l’égard de nous autres courtisans, vous n’auriez pas manqué de vous amuser de l’embarras où nous a jetés cette déclaration. Il est vrai qu’elle nous était faite avec cette gravité sévère dont le roi ne sait point se départir. L’improvisation en tout est chose assez difficile, et particulièrement celle de la liberté. Il faut que je confesse que nous n’avons su que faire de la nôtre. L’imagination n’osait aller bien loin sur cet article, et nos souverains eux-mêmes s’efforçaient en vain de chercher ce qu’ils pouvaient permettre. Aussi, malgré la bonne disposition du maître et des sujets, les choses se sont-elles passées à peu près comme à l’ordinaire, et, de retour à Madrid, chacun est rentré volontiers dans ses habitudes, les uns reprenant avec leur logement le droit de commander, les autres l’obligation d’obéir[1]. » Et les réflexions qui suivent sont d’une parfaite et triste justesse : « Au fond, ma sœur, le cérémonial des cours, dont on se plaint souvent, a, ce me semble, quelque chose d’utile et même de moral. Auprès des princes, l’intérêt personnel est tellement éveillé, les mauvaises passions humaines sont si fréquemment en jeu, que, s’il nous fallait agir d’après nos sensations réelles et nos vraies émotions, nous donnerions à qui nous observe un triste spectacle. L’étiquette jette un voile uniforme sur tout cela : c’est une sorte de mesure positive qui donne à des tons discordans les apparences de l’harmonie. »

Il y a dans cette cour une comtesse de Lémos, femme d’esprit, qui ose être elle-même et se soucier peu de ce qu’on suppose « L’attitude indépendante qu’elle sait y conserver, dit l’auteur, m’a fait imaginer quelquefois que, dans cette même cour où l’on ne

  1. Un jour, à je ne sais quelle occasion, l’empereur avait fait venir, pour jouer, les comédiens des petits théâtres, et il permettait, il désirait que ce fût plus gai que ne le sont d’ordinaire les spectacles de cour. M. de Talleyrand, comme grand-chambellan, signifiait l’auguste désir avec son visage le plus solennel : « Messieurs, l’empereur ne badine pas, il entend qu’on s’amuse. »