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MORALISTES DE LA FRANCE.

par exemple, au conseil d’état, elle la retrouva toute grace, toute bienveillance. Les Tuileries se rouvraient ; Mme Bonaparte eut à l’instant l’idée de prendre près d’elle, pour dame du palais, Mme de Rémusat, et d’attacher par suite son mari au service du consul. C’était plus qu’on n’avait désiré, c’était trop. Mais déjà de telles faveurs étaient des ordres et ne se discutaient plus. M. de Rémusat devint préfet du palais.

On essayait d’un commencement de cour. C’est dans l’automne de 1802 que Mme de Rémusat s’établit pour la première fois à Saint-Cloud, où était alors le premier consul. Elle avait vingt-deux ans. Sa nomination et celle de son mari parurent un évènement au sein de cet entourage jusque-là tout militaire. On y pouvait voir une pensée du maître, une première avance et comme un premier anneau pour se rattacher à l’ordre civil, et pour en gagner les personnes considérées. Il y avait bien des degrés dans les anciens noms ; mais celui de Vergennes était connu, était historique, et tenait à l’ancien régime. Il frayait la voie à de plus grands, encore rebelles, qui ne firent pas faute pourtant, dès que le consulat se changea en empire, et qui se précipitèrent en foule. De plus, le consul, qui aimait assez qu’on sût pour lui ce qu’il ignorait, trouvait particulièrement en M. de Rémusat un tact sûr, la connaissance parfaite des convenances et de certains usages à rétablir, tout ce qui enfin, à cette époque, pouvait servir cette partie importante et délicate de son dessein. Il ne s’agissait de rien moins que de restaurer la dignité dans les formes et la politesse.

J’aurais trop à dire, et je dirais trop peu, si je voulais suivre Mme de Rémusat dans cette cour où elle se trouva ainsi lancée à vingt-deux ans, au sortir d’une existence solitaire et morale. Douée d’une maturité et d’une prudence supérieure à son âge, son ame droite évita les écueils, et son esprit ferme recueillit les enseignemens. L’enthousiasme reconnaissant et dévoué, dont elle s’était d’abord senti le besoin, essuya trop d’échecs consécutifs pour résister et subsister bien long-temps. Elle a peint elle-même cette décroissance graduelle dans des Mémoires que je me crois à peine le droit d’effleurer[1].

  1. Elle avait fait mieux. Admise, comme Mme de Motteville, à voir d’une très bonne place cette belle comédie, elle avait songé à en fixer sur le temps même les complets souvenirs. Elle avait écrit chaque soir, autant qu’elle l’avait pu, les évènemens, les impressions, les entretiens de la journée. Par malheur, en 1815, pendant les cent jours, quelques circonstances particulières, que sans doute elle s’exagéra la poussèrent à craindre pour des papiers si pleins de choses et de noms : ce