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cieusement sous ses rides. Cette société de Mme d’Houdetot où régnaient encore les derniers philosophes, M. de Saint-Lambert, M. Suard, l’abbé Morellet, n’était plus philosophique que littérairement, pour ainsi parler. La révolution avait beaucoup désabusé, beaucoup refroidi. Il y avait là, nous dit un très bon juge, un mélange assez pacifique de lumières modernes, de vœux rétrogrades, de goûts d’ancien régime, de mœurs simples amenées par le malheur des temps, de tristes regrets à la suite des douleurs de 93 ; il y avait surtout un vif besoin de bonheur, de repos final et de plaisirs de société. Ce qui eût été contradiction dix ans plus tôt s’assortissait en ce moment à merveille. À travers ce croisement d’idées et de sentimens, rien n’opprimait le jeu libre de la pensée et n’en forçait la direction ; les jeunes esprits avaient de quoi s’y gouverner eux-mêmes dans leur droiture et y faire leur voie. En politique on y était royaliste en ce sens qu’on aimait mieux Louis XVI que ses juges et les émigrés que les jacobins ; mais on s’y montrait, en général, assez disposé à embrasser tout gouvernement régulier, tout ce qui garantirait l’ordre et le repos. C’était la bonne compagnie du consulat. Le consulat, dès le premier jour, en fut reconnu et salué.

Mme de Vergennes avait eu de tout temps quelques relations avec Mme de Beauharnais, et elle ne les avait pas discontinuées avec Mme Bonaparte. Le hasard les avait rapprochées une première fois dans un petit village des environs de Paris où elles allaient passer le terrible été de 93 ; le hasard les rapprocha encore durant le temps de l’expédition d’Égypte. Mme Bonaparte habitait dès-lors la Malmaison, et Mme de Vergennes vint séjourner quelques mois à Croissi, tout près de là, dans le château d’un ami. La fortune de l’illustre absent, à cette époque, n’était pas à beaucoup près aussi nette que nous la jugeons aujourd’hui ; son astre lointain semblait par momens près de s’éclipser. Mme Bonaparte, après le radieux éclat de la première campagne d’Italie, se trouvait déjà un peu veuve, un peu répudiée, ce semble, et en proie à mille gênes comme à mille soucis, au sein des restes somptueux d’une première et passagère grandeur. Naturellement expansive et d’un abandon facile, elle n’eut pas plus tôt retrouvé Mme de Vergennes qu’elle ne ménagea pas l’arriéré des récits et toutes sortes de confidences. Le débarquement à Fréjus la vint saisir au milieu de ses craintes et replacer brusquement sur le char. Lorsqu’après un an environ, le nouveau gouvernement s’étant tout-à-fait affermi, Mme de Vergennes eut recours à elle et lui exprima le désir d’une position pour son gendre, de quelque place,