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MORALISTES DE LA FRANCE.

son cœur. Trop faible pour se soutenir dans sa vieillesse par ses seuls souvenirs, elle ne crut pas qu’il fallût cesser d’aimer avant de cesser de vivre. Une providence indulgente la servit encore en préservant ses dernières années de l’isolement qui d’ordinaire les accompagne. Des soins assidus et délicats embellirent ses vieux jours de quelques-unes des couleurs qui avaient égayé son printemps ; une amitié complaisante consentit à prendre avec elle la forme qu’elle était accoutumée de donner à ses sentimens. La raison austère et détrompée pouvait quelquefois sourire de cette éternelle jeunesse de son cœur ; mais ce sourire était sans malignité, et sur la fin de sa vie Mme d’Houdetot trouva encore dans le monde cette indulgence affectueuse que l’enfance aimable paraît avoir seule le droit de réclamer.

« D’ailleurs elle a prouvé, par le courage et le calme qu’elle a montrés dans ses derniers momens, que l’exercice prolongé des facultés du cœur n’en affaiblit point l’énergie. Elle a senti qu’elle mourait, et cependant, en quittant une vie si heureuse, elle n’a laissé échapper que l’expression d’un regret aussi tendre que touchant : — Ne m’oubliez pas, disait-elle à ses parens et à ses amis en pleurs autour de son lit de mort, j’aurais plus de courage s’il ne fallait pas vous quitter ; mais du moins que je vive dans votre souvenir !

« C’est ainsi qu’elle ranimait encore par le sentiment une vie prête à s’éteindre, et ces seuls mots j’aime ont été le dernier accent que son ame, en s’exhalant, ait porté vers la Divinité[1]. »

Mme de Rémusat crayonnait l’aimable portrait en 1813; quinze ans auparavant elle entrait avec nouveauté dans ce monde restauré que recomposaient tant de débris, et qui se remettait à sourire si gra-

  1. À l’appui et comme au bas de ce doux pastel, il nous sera permis d’écrire quelques vers de Mme d’Houdetot elle-même, de ces vers du bon vieux temps dont plusieurs sont restés agréables encore sous leur couleur passée ; voici une imitation qu’elle avait faite de Marot, et où le tendre aveu se retrouve dans un léger déguisement :

    Jeune, j’aimai : ce temps de mon bel age,
    Ce temps si court, l’amour seul le remplit.
    Quand j’atteignis la saison d’être sage,
    Encor j’aimai, la raison me le dit.
    Me voilà vieux, et le plaisir s’envole ;
    Mais le bonheur ne me quitte aujourd’hui,
    Car j’aime encore, et l’amour me console
    Rien n’aurait pu me consoler de lui.