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MORALISTES DE LA FRANCE.

dance, et à y fructifier en divers sens, comme un riche héritage ? L’une de ses filles, celle qui nous occupe, développera plutôt le côté sérieux et philosophique, si je puis ainsi l’appeler ; on possède, on retrouve chaque jour chez l’autre (j’allais dire, on applaudit) l’ingénieuse et riante fertilité, le brillant d’imagination ; tandis que de cette veine originale primitive, de cette haute source d’excellente raillerie, il restera encore assez pour rejaillir en dons heureux et piquans sur le petit-fils dont elle chérissait et charmait l’enfance.

D’un caractère, d’un tour d’esprit tout autre que Mme de Vergennes, et appartenant à une génération de beaucoup antérieure, Mme d’Houdetot habitait Sannois ; un mur mitoyen séparait les deux familles ; le voisinage et toutes les convenances aimables les lièrent. L’intimité qui s’ensuivit eut un effet durable sur l’esprit de Mme de Rémusat, et détermina en quelque sorte le milieu social où elle passa sa vie. Mme d’Houdetot ne mourut qu’en janvier 1813, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Dans les années où nous la prenons, c’est-à-dire un peu avant 1800, le salon de cette aimable vieille réunissait les débris de la bonne compagnie et de la société philosophique, qui même, en aucun temps, ne s’en était absolument exilée. On peut dire de Mme d’Houdetot que son idéal d’existence ne sortit jamais de cette vallée de Montmorency où la flamme de Jean-Jacques a comme gravé son souvenir en chiffres immortels. Son printemps d’idylle y refleurit bien des fois ; sa fraîcheur d’impressions se conserva jusqu’au dernier jour. Mme d’Houdetot passa à la campagne le temps même de la terreur ; sa retraite fut respectée ; ses parens s’y pressaient autour d’elle, et il se pourrait bien (écrit Mme de Rémusat dans un charmant portrait de sa vieille amie) qu’elle n’eût gardé de ces jours affreux que le souvenir des obligations plus douces et des relations plus affectueuses qu’ils lui valurent. Mme d’Houdetot était de ces ames qu’on peindrait d’un mot : elles ont passé dans le monde en voyant le bien. C’est encore une manière de le faire, au moins tout auprès de soi. L’heureuse illusion, dont s’enveloppe une nature aimante, rayonne autour d’elle et en rend ou en prête aux autres. Mais je veux, de ce portrait étendu que j’ai sous les yeux, et qui a pour épigraphe le mot de Massillon : C’est l’amour qui décide de tout l’homme, — je veux tirer ici quelques passages qui en fixeront mieux les nuances, et nous accoutumeront aussi à l’observation judicieuse et fine, à la ligne gracieuse et pure de celle qui l’a tracé :

« On ne peut guère, écrit Mme de Rémusat, porter plus loin que Mme d’Houdetot, je ne dirai pas la bonté, mais la bienveillance. La