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à s’emparer d’une ame, la poussait aux entreprises hardies, et non pas à se laisser mourir de langueur. Hamlet fut, dans un temps plus rapproché de nous, le premier héros de ces suicides mélancoliques ; Chatterton en sera-t-il le dernier ? Le suicide ex abrupto est moins effrayant pour la société ; celui-là est traité de crime et de folie par tout le monde ; il ne se prêche pas, il ne s’érige pas en doctrine. On peut s’en servir à la rigueur pour trancher le nœud gordien d’un récit ou d’un poème, mais on ne peut lui donner une auréole et en faire le sujet d’une action scénique. Le suicide d’Hamlet, au contraire, est contagieux : si l’on pousse rarement l’imitation jusqu’à la mort, il y a des maladies de l’ame qui ne sont que des suicides incomplets. Hamlet est le père de ces génies mystérieux, de ces ames incomprises, de toute cette poésie maladive, que le ridicule a tuée. La vraie littérature et la vraie morale ne connaissent et n’approuvent que la nature saine, forte et puissante. Il faut apprendre à la jeunesse à repaître son esprit d’une nourriture solide, à rejeter les chimères, à se créer des besoins dignes d’un homme, et à ne pas vivre en femmelettes, sous prétexte d’exquise sensibilité. — Telles sont les conclusions, trop rigoureuses peut-être, auxquelles arrive dans son enseignement M. Saint-Marc Girardin. Quoi qu’il en soit, son cours, conçu sur un plan neuf, professé avec une verve intarissable, un esprit brillant, un goût sûr, ne ramène pas seulement dans les écoles les traditions de la bonne littérature, mais le goût et le sentiment de la bonne morale. C’est une noble tâche que M. Saint-Marc Girardin a prise à cœur depuis long temps avec un zèle et un succès dont tout le monde doit lui savoir gré.


Les Sentiers perdus, de M. Arsène Houssaye, sont à leur seconde édition[1]. Ces jolies poésies unissent une veine d’esprit au sentiment, il y a comme une reprise et un filet de XVIIIe siècle qui se mêle à l’art du nôtre, un coin de Moncrif à travers nos printemps et nos tendresses d’aujourd’hui. M. Arsène Houssaye a su se faire une manière à lui, très reconnaissable ; il assortit ses bouquets d’une certaine façon. De même, dans ses petits contes et romans, dans ses portraits de poètes et d’artistes du XVIIIe siècle, il a trouvé une veine littéraire pleine d’agrément, et a su découvrir une foule de sentiers fleuris là où l’on ne voyait depuis long-temps que des chemins battus.


V. de Mars.
  1. Un vol. in-18, chez Masgana, galerie de l’Odéon.