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choix de leurs sujets, ce soin minutieux, cette sollicitude inquiète dont se consument, la plupart du temps, ceux qui n’ont que du talent. Rarement vous les voyez faire les difficiles en pareille matière, et les littérateurs de la trempe de Joseph Sonnleithner, le premier en date dans l’élucubration de Fidelio, ou de M. de Jouy, l’auteur français de Moïse et de Guillaume Tell, n’ont jamais plus beau jeu pour vider leur sac que lorsqu’ils s’adressent à des hommes de la taille de Beethoven et de Rossini. Quoi qu’il en soit, Beethoven se mit à l’œuvre avec ardeur, avec amour, et, vers le milieu de 1805, la partition fut terminée.

Alors commencèrent les véritables embarras, les difficultés réelles. Lorsqu’il fallut pourvoir à l’exécution, les voix d’hommes firent défaut ; la Milder seule, chargée du rôle de Léonore, s’acquittait dignement de sa partie ; ajoutez à cela la guerre alors imminente, et vous aurez une idée des circonstances favorables, de l’heureuse constellation sous lesquelles Fidelio se produisit. L’opéra de Beethoven parut sur la scène le 20 novembre, mais sans aucune espèce de succès ; le public fut de glace pour cette musique qui, en dépit même des obstacles dont nous parlions, avait le tort immense de prétendre devancer son temps ; il n’y eut que les amis et les ennemis qui la comprirent. Après trois représentations successives, le chef-d’œuvre s’arrêta tout à coup, et ne fut repris ensuite que le 29 mars 1806. Quelques changemens apportés dans l’ordonnance de la pièce, l’action réduite à deux actes, de trois qu’elle avait d’abord, ne suffirent pas pour venir à bout de l’indifférence publique ; et, après une dernière épreuve tentée le 10 avril, le chef-d’œuvre fut déposé dans la bibliothèque du théâtre, pour y dormir du sommeil des Pharaons. Huit années s’étaient écoulées sans qu’on s’occupât davantage de Fidelio, lorsqu’une occasion imprévue, une représentation à bénéfice vint tirer la partition de Beethoven de l’oubli séculaire qui la menaçait. Cette nouvelle mise en scène réclamait, comme on pense, des changemens notables auxquels le grand maître se prêta de la meilleure grace ; l’œuvre fut remaniée de fond en comble, le dialogue récrit, le drame autant que possible amélioré. Le second acte, qui se passait tout entier dans un cachot, se termina au grand jour, à la lueur du soleil, circonstance dramatique assez peu importante par elle-même, mais qui donne lieu à la magnifique entrée du finale qui n’existait pas dans la première ébauche. L’air de Léonore, au premier acte, eut aussi une introduction nouvelle, le magnifique exorde qu’on admire aujourd’hui, et de l’ancien morceau il ne reste que la dernière phrase : O du, für den, ich alles trug ! Mais laissons parler l’auteur lui-même, le collaborateur de Beethoven dans cette édition revue et corrigée. D’un objet aimé tout est cher, dit Figaro en voyant le comte ramasser l’épingle du billet de Suzanne ; on aime jusqu’aux moindres circonstances qui se rattachent à l’enfantement d’un chef-d’œuvre, et ces détails, auxquels on ne saurait contester le mérite de l’exactitude, puisque c’est le poète lui-même de Beethoven qui les rapporte, trouveront naturellement ici leur place.