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le style si neuf est cependant tout éclairé des reflets du style ancien, alla plus loin, et, dans l’échantillon d’une traduction d’Hérodote, il reproduisit identiquement les formes et les locutions d’un langage qui n’est plus le nôtre. Aussi cet essai est-il vicieux ; nos oreilles ne peuvent se faire à ces déviations légères, mais réelles, des sons accoutumés, notre intelligence s’accommode mal des retards inévitables que lui cause la rencontre de formes inconnues, et notre goût est toujours choqué de la disparate qu’offre un style où se réunissent les mots actuels qui sont anciens, et les mots anciens qui ont cessé d’être actuels. Ici il faut étudier, non pas reproduire, imiter, non pas copier, et surtout prendre un juste sentiment des analogies qui règlent la langue française. C’est dans ce sens qu’on doit entendre le précepte que Boileau a formulé en deux vers fort médiocres :

Sans la langue en un mot l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.

Il ne s’agit pas seulement d’éviter les solécismes et les barbarismes, chose importante sans doute, mais secondaire ; il s’agit au premier chef de demeurer dans les traditions de la langue, d’en chercher les lois, d’y tremper son style, d’y puiser ses innovations. C’est là un des devoirs essentiels d’une littérature éclairée. Une littérature qui y manque pèche non pas, comme on le pourrait penser, contre des règles conventionelles, mais contre la raison même des choses.

Virgile, recommandant aux cultivateurs de choisir chaque année les plus belles semences s’ils ne veulent pas voir dégénérer rapidement leurs cultures, passe, par une contemplation qui lui est familière, de la graine des champs à la destinée du labeur humain ; il se représente le cours des choses comme un fleuve, et l’homme comme un rameur qui le remonte avec effort : au moindre relâche, si brachia forte remisit, le courant immense emporte aussitôt la barque sur sa pente rapide. Il en est ainsi de la langue ; c’est un composé instable que des influences diverses tendent à modifier. Repousser les mauvaises, admettre les bonnes, et, pour le faire en connaissance de cause, approfondir l’état passé, telle est, quant à la langue, la fonction de la littérature ; tel est le labeur qui lui est dévolu entre tous les labeurs que se partage l’humanité, ce rameur éternel de Virgile.

En définitive, une langue ne peut être conservée dans sa pureté qu’autant qu’elle est étudiée dans ses origines, ramenée à ses sources, appuyée à ses traditions. Aussi, l’étude de la vieille langue et, en particulier, de celle du XVIe siècle, est un élément nécessaire,