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LETTRES DE LA REINE DE NAVARRE.

Brantôme, Rabelais et Montaigne parlent chacun une langue merveilleuse ; mais ces trois langues n’ont, pour ainsi dire, rien de commun entre elles. Chacun d’eux a composé la sienne en s’appropriant, en assimilant à sa nature ce qui lui convenait, soit dans les langues mortes de l’antiquité, soit dans les langues vivantes contemporaines ; et ces élémens, après la fusion générale, ne peuvent se reconnaître, pas plus qu’on ne peut démêler dans le miel les poussières des différentes fleurs dont il se forme. La facilité des inversions dont Marguerite fait un emploi si fréquent, était encore une ressource aujourd’hui perdue. Au XVIe siècle enfin, la langue se faisait avec le secours de la logique ; au XIXe, il n’est plus question que de la conserver par l’usage, c’est-à-dire par le bon usage. »

J’ajouterai quelques mots pour développer ce qu’il faut, suivant moi, entendre par le bon usage quand il s’agit d’une langue vivante, désormais fixée. Nul écrivain n’a assez d’autorité pour façonner la langue française au gré de son inspiration. Innover ne se peut ; reste à consulter ceux qui innovaient, c’est-à-dire ceux qui écrivaient alors que la langue n’était pas encore faite. Une langue est essentiellement une chose de tradition, elle se perd quand la tradition se perd. Le Français du XVIe siècle est tel que, sans être arrêté comme celui du XVIIe, il en contient tous les élémens directs. Plus on remonte dans les siècles antérieurs, plus on s’éloigne des formes reçues actuellement, et plus on s’approche des origines de notre idiome ; et ainsi, à mesure qu’on recule dans le passé, les monumens littéraires deviennent un objet d’érudition, et cessent d’offrir une étude de style. Au contraire, ceux du XVIe siècle ont toutes les qualités qui peuvent servir à développer, à soutenir, à rajeunir la langue actuelle. Si, comme le remarque M. Génin, le bon usage doit être la règle du style du XIXe siècle, le bon usage, à son tour, doit incessamment être rajeuni aux sources vives dont il découle directement.

P.-L. Courier dit, dans sa préface d’une traduction nouvelle d’Hérodote : « Il ne faut pas croire qu’Hérodote ait écrit la langue de son temps, commune en Ionie, ce que ne fit pas Homère même, ni Orphée, ni Linus, ni de plus anciens, s’il y en eut, car le premier qui composa mit dans son style des archaïsmes. Cet ionien si suave n’est autre chose que le vieux attique, auquel il mêle, comme avaient fait tous ses devanciers prosateurs, le plus qu’il peut des phrases d’Homère et d’Hésiode. La Fontaine, chez nous, empruntant les expressions de Marot, de Rabelais, fait ce qu’ont fait les anciens Grecs, et aussi est plus Grec cent fois que ceux qui traduisaient du grec. De