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LETTRES DE LA REINE DE NAVARRE.

réfugier auprès de Henri de Navarre, le petit-fils de cette même Marguerite, protectrice des littérateurs protestans, les ligueurs, bien informés de sa situation et poussés par un désir légitime de vengeance, tentèrent de l’enlever dans un faubourg de Tours, où il se trouvait. Peu s’en fallut qu’ils ne réussissent ; mais quand les écharpes blanches (c’était l’insigne des huguenots) passèrent rapidement le pont de Tours et arrivèrent au secours de Henri III, alors on rapporte que les ligueurs leur adressaient ces paroles : « Braves huguenots, gens d’honneur, ce n’est pas vous à qui nous en voulons, c’est à ce perfide qui vous a tant de fois trahis et qui vous trahira encore ; et parmi cela, dit d’Aubigné, d’autres voix confuses d’opprobres et d’infamies nommant des noms auxquels les courtisans souriaient. » Singulière complication de cette guerre sans résultat possible ! Le roi catholique vint chercher un refuge dans le camp huguenot ; le roi huguenot se fit catholique, et, après tant de sang versé, on se retrouva au point où on était avant le commencement des guerres, sauf, comme dit Schiller dans sa tragédie de Jeanne d’Arc, à la fin d’une période peut-être encore plus désastreuse, sauf les morts qui étaient tombés, les larmes qui avaient été versées, les plaies faites au pays, l’incendie des villages et des villes. Seulement il fut établi, ce que les partis ne voulaient pas comprendre au début, il fut établi par les impossibilités réciproques où ils furent réduits, que la France n’était ni comme l’Italie et l’Espagne, où le protestantisme demeura sans accès, ni comme l’Allemagne et l’Angleterre, où il prévalut. Dès le commencement de la réforme, la France eut là une troisième position, et quarante ans de guerres n’y purent rien changer.

Quels qu’aient été les sentimens de Marguerite au sujet des opinions qui, de son temps, troublaient profondément l’Europe, toujours est-il que les catholiques ardens la suspectèrent. « Noël Béda, syndic de la faculté de théologie, dit M. Génin, essaya contre elle le système d’inquisition qui lui avait réussi contre Érasme et contre Lefebvre d’Étaples. Il déféra à la faculté un poème de la reine de Navarre intitulé : Le Miroir de l’ame pécheresse. Marguerite n’y avait parlé ni des saints ni du purgatoire, preuve manifeste qu’elle n’y croyait pas ! mais cette fois la malice du vieux docteur échoua contre le bon sens et l’éloquence de Guillaume Petit, évêque de Senlis, qui se fit, devant la Sorbonne, l’avocat du livre et de l’auteur. Marguerite fut acquittée avec son Miroir. Il arriva même quelque temps après que, sous un prétexte quelconque, on prit Noël Béda et on l’enferma