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LETTRES DE LA REINE DE NAVARRE.

Inter finitimos vetus atque antiqua simultas,
Immortale odium, et nunquam sanabile vulnus,
Ardet adhuc Coptos et Tentyra : summus utrimque
Inde furor vulgo, quod numina vicinorum
Odit uterque locus, quum solos credat habendos
Esse deos, quos ipse colit
.

Parmi les maladies de l’esprit humain, ce n’est pas une des moins singulières et des moins tristes, que celle qui lui a fait voir une question de criminalité dans une question de théologie, un forfait dans une dissidence, et un argument dans un bûcher. Jamais l’égarement n’a été plus monstrueux. Un homme raisonnable du XIXe siècle a de la peine à se représenter un magistrat laïque ou un prêtre faisant torturer devant lui un homme qui refuse de croire au purgatoire ou à la présence réelle, et finissant par le faire brûler sur la place de l’Estrapade. Dans les Règles sur les études des jésuites, il est dit que les élèves n’assisteront au supplice d’aucun condamné, si ce n’est au supplice des hérétiques, neque ad supplicia reorum, nisi forte hæreticorum, eant. (Ratio atque institutio studiorum Societatis Jesu. Romæ 1606.) Le sentiment que je signale ne s’est peut-être manifesté nulle part d’une manière plus repoussante que dans cette phrase.

Qu’au milieu de ces fureurs et dans un tel état des esprits Marguerite ait été tolérante comme on l’entend depuis le XVIIIe siècle, cela est difficile à croire. Cette tolérance embrasse toutes les opinions relatives aux choses religieuses ; celle d’alors pouvait tout au plus aller de catholique à protestant, ou réciproquement de protestant à catholique. À cette époque, en France, des esprits sages, des hommes savans, des personnages éminens, avaient été trop choqués de certains abus de l’église romaine pour se sentir animés d’un zèle violent contre les novateurs, et, sans vouloir embrasser la réforme, ils étaient disposés à vivre en paix avec eux. Telles étaient sans doute les dispositions de Marguerite ; joignez-y beaucoup d’amour pour les lettres, dans lesquelles elle était fort versée, et beaucoup de bienveillance pour ceux qui les cultivaient, fussent-ils protestans ; joignez-y enfin une bonté et une douceur naturelles, empreintes dans ces Lettres que vient de publier M. Génin. Chargée d’une négociation auprès d’une dame fort entêtée, elle répond à Montmorency : « Vous connaissez ma condition et la sienne (de Mme d’Estouteville), sy différentes, que ce n’est jeu bien party ; car de défaire l’opinion d’une femme que personne n’a sceu gaaigner par une que vous sçavez qui