Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/810

Cette page a été validée par deux contributeurs.
804
REVUE DES DEUX MONDES.

dampné à estre mis en ung tombereau et mené en Grève, et à estre bruslé. Ce qui fut faict l’an et jour dessus dict. »

Marguerite fut plus heureuse à l’égard d’un autre de ses protégés, qu’elle recommande à Anne de Montmorency dans la lettre suivante : « Le bonhomme Fabry m’a escript qu’il s’est trouvé un peu mal à Blois, avecques ce qu’on l’a voulu fascher par de là. Et pour changer d’air, iroit voulentiers veoir ung amy sien pour ung temps, si le plaisir du roi estoit luy vouloir donner congié. Il a mis ordre en sa librairie, cotté les livres, et mis tout par inventaire, lequel il baillera à qui il plaira au roy. » Voici l’explication de ce billet : Jacques Fabry ou Lefebvre d’Étaples, après avoir visité l’Asie et l’Afrique, revint à Paris et professa la philosophie au collége du cardinal Lemoine. Des dissertations théologiques qu’il publia, et la traduction du nouveau Testament, lui attirèrent des tracasseries ; on avait voulu profiter de l’absence du roi, prisonnier en Espagne, pour perdre Lefebvre d’Étaples ; mais Marguerite obtint de son frère d’écrire au parlement, et sauva le suspect. Lefebvre, qui s’était réfugié dans la modeste place de bibliothécaire à Blois, sollicita son congé, comme on le voit ici, par l’entremise de sa protectrice. La visite à ung amy sien n’est qu’un prétexte ; il s’en alla à Nérac, où il acheva tranquillement sa vie à l’âge de quatre-vingt-onze ans, en 1536.

L’appui que Marguerite donnait aux personnes suspectes ou convaincues de ce qu’on appelait hérésie, jetait du doute sur sa propre orthodoxie. On l’accusa de partager les opinions du protestantisme, et, si elle n’avait pas été aussi haut placée, elle eût payé cher le zèle qu’elle mettait à sauver les hérétiques. M. Génin attribue ce zèle à la tolérance. La tolérance est une vertu de nouvelle date, ignorée ou peu connue dans les siècles qui nous ont précédés, et surtout dans le milieu du XVIe siècle. Catholiques et protestans étaient persuadés que l’hérésie était le plus grand crime qu’un homme pût commettre, et que les supplices les plus cruels devaient être infligés à ceux qui s’en rendaient coupables. Les protestans, faibles à leur début comme toute insurrection naissante, firent une rude épreuve de cette persuasion, et ils furent traités par les catholiques comme les anciens chrétiens l’avaient été par les païens. Le fer et le feu furent employés à l’extirpation de l’hérésie nouvelle ; et, au moment où Marguerite se montrait si tolérante pour les novateurs, les deux croyances étaient à l’égard l’une de l’autre dans la même disposition que ces deux villes de l’Égypte dont parle Juvénal, et qui se haïssaient mutuellement à cause de leurs dieux.