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tient de développer ces principes, de mettre ces vérités en lumière, c’est-à-dire de les démontrer par l’expérience, donnant ainsi à l’intelligence l’évidence de ce qu’elle avait d’abord admis de confiance ou obscurément. » Nous avons trois moyens pour y parvenir : les sens, la raison, et le sens intime ou la conscience. Mais la raison, pour M. Bautain, n’est pas cette faculté supérieure qui s’appuie sur des principes fermes et incontestables, qui deviennent l’unique fondement de ses découvertes, et même de ses soumissions ; c’est « une faculté qui tire les conséquences de nos observations et juge la parole et les faits de l’humanité. » Ainsi la raison n’est que le raisonnement et le jugement. Nous n’avons point par nous-mêmes la connaissance des principes et des vérités fondamentales ; nous la devons à la foi, sans laquelle la raison ne peut rien.

S’il faut l’avouer, les philosophes du moyen-âge me semblent supérieurs en un point à nos théologiens modernes. De leur temps, on défendait à la raison de discuter les vérités de la foi ; on n’allait pas jusqu’à nier absolument la raison elle-même. On comprenait qu’autre chose est nier au nom de la raison des vérités révélées, autre chose, soutenir que nous avons besoin de la raison pour comprendre qu’il y a une révélation, et qu’il faut nous y soumettre. On disait alors dans les écoles qu’on ne peut disputer avec ceux qui nient les principes, et l’on pensait qu’avant de connaître les principes, une intelligence n’est pas une intelligence, et qu’elle est radicalement incapable de recevoir une idée, de comprendre la parole. Ces philosophes scholastiques, que M. Bautain méprise si fort, savaient bien que Dieu même ne pouvait éclairer que par un miracle une intelligence dénuée de raison, et que, si ce miracle se faisait, il devait commencer par mettre cette intelligence en possession des principes, c’est-à-dire par lui donner la raison, et par-là la mettre en état de comprendre la langue, d’entendre la révélation et de s’y soumettre. Cette invention de M. de Bonald ou de M. de Maistre (car je ne sais à qui en appartient l’honneur), que l’homme pense parce qu’il a entendu parler, est infiniment au-dessous de la plupart des scholastiques. C’est un moyen désespéré qui ne pouvait naître que dans une école où l’on ignore les premiers principes de la logique et les premiers élémens de la psychologie.

On peut conclure de ce seul point toute la théorie de la connaissance de M. Bautain. Il est condamné par son principe, et ne peut que tomber d’erreurs en erreurs, comme tous ceux à la suite desquels