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LETTRES DE CHINE.

de canons et d’obusiers, et la ville, placée entre le feu de ces batteries et celui des vaisseaux, se trouva de fait à la discrétion des forces anglaises. Dès ce moment, les Chinois, découragés par le peu de succès de leur attaque de nuit, ne songèrent plus à résister. — On assure, et je ne cite ce fait qu’avec répugnance, comme on peut croire, que les Anglais trouvèrent les murailles de Canton couronnées d’une quantité innombrable de certains vases dont je n’ose dire l’usage, et qu’on avait placés sur les remparts comme un effroyable attirail de guerre ; étrange artillerie cependant, dont j’ai peine à m’expliquer la destination. — Des propositions de rançon furent faites ; les uns prétendent qu’elles vinrent des Chinois, d’autres soutiennent qu’elles furent provoquées par le plénipotentiaire anglais. Toujours est-il qu’un traité ou plutôt une convention fut faite entre M. Elliot et le kwang-choo-foo, ou maire de Canton. Vous remarquerez encore qu’aucun des trois commissaires impériaux ne parut dans cette transaction. Le journal anglais Canton Press assura, d’après une autorité qu’il disait irrécusable, que les principaux articles de cette convention étaient les suivans : — Art. 1er. Les Chinois paieront une somme de 6 millions de piastres (environ 36,000,000 fr.). — Art. 2. Les troupes tartares s’éloigneront de deux cents le de la ville de Canton (environ vingt lieues). — Art. 3. Les navires de guerre anglais quitteront la rivière de Canton, ainsi que les troupes anglaises (deux navires de guerre pouvaient seuls rester dans les eaux de la rivière). — Art. 4. Tous les ports de la rivière seront entièrement évacués par les Anglais.

À la première vue, une semblable convention ne peut manquer de vous paraître extraordinaire, même au milieu de cette série de transactions sans exemple dans les guerres européennes. Le capitaine Elliot est maître de Canton ; il n’a qu’un mot à dire, et une garnison anglaise occupera la ville, et cependant pour la troisième ou quatrième fois il s’arrête. Les négociations recommencent ; bien plus, la grande question en litige est passée sous silence ; les commissaires impériaux ne paraissent pas, leur nom n’est pas même invoqué. Toute la responsabilité est prise par le kwang-choo-foo, par le maire de la ville ; il ne s’agit plus que d’une rançon, et, cette rançon payée, les navires anglais abandonneront la rivière de Canton. Ainsi Canton, jusque-là le théâtre de la guerre, ne devient plus qu’un incident de ce long drame. Dès-lors les plans du plénipotentiaire ou du gouvernement anglais ne sont plus douteux : il a senti que la question ne pouvait plus se résoudre qu’à Pékin. Déjà, depuis long-temps et au moment même où il demandait au gouvernement de Canton la paix et le commerce, tous les moyens d’action se préparaient en silence, la compagnie des Indes frétait de nombreux navires, une nouvelle armée était organisée sur une plus grande échelle, des approvisionnemens et des munitions partaient de tous les ports de l’Inde, la Nouvelle-Hollande elle-même envoyait son contingent. Les évènemens de Canton eurent donc lieu au moment où tout était mûr pour l’exécution d’un projet beaucoup plus vaste.