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LETTRES DE CHINE.

étaient réunis à Canton et dans les environs ; de nombreuses batteries élevées le long de la rivière défendaient la ville sur toute son étendue. La connaissance de ces faits et l’imminence du péril, dont ils étaient un indice certain, firent abandonner le projet que le plénipotentiaire britannique avait formé de porter une partie des forces anglaises vers Amoy. Le 15 mai était fixé pour le départ ; les nouvelles de Canton changèrent entièrement la face des affaires.

On le voit, les choses marchaient rapidement à Canton vers une crise. Le 5 mai, les permissions données par les Chinois pour le passage des bateaux destinés au chargement des navires avaient été retirées ; mais cette mesure avait été immédiatement révoquée, sur les représentations des autorités anglaises. Le 8 mai, on disait publiquement que le commerce allait être suspendu par les Chinois, et les Européens commençaient à ne plus se croire en sûreté dans les factoreries. Pendant les jours suivans, ces symptômes deviennent de plus en plus alarmans. On ne peut plus douter que les Chinois ne se préparent activement à quelque grand coup de main. Le 15, de nombreux détachemens de troupes arrivent de l’intérieur ; on évalue le nombre de celles qui sont réunies dans la ville et aux alentours de Canton au chiffre évidemment exagéré de soixante-cinq ou soixante-dix mille hommes. Contrordre est donné aux navires de l’expédition anglaise, qui devaient quitter les eaux de la rivière. La corvette la Modeste se rapproche de Canton, et la goëlette l’Algérine vient jeter l’ancre en face des factoreries. La garde qui les protége est doublée. Les embarcations de ces navires de guerre sont, pendant toute la nuit, remplies de forts détachemens de soldats de marine, prêts à se porter partout où l’ennemi se présentera. Les négocians anglais s’efforcent, de leur côté, de profiter du peu de temps qui leur reste pour presser le chargement de leurs navires. Une moitié à peine des bâtimens anglais, stationnés depuis si long-temps dans la rivière de Canton, a pu recevoir une partie de cargaison. Un seul navire français, la Lydie, de Nantes, s’est trouvé sur les lieux, chargé par un négociant anglais ; ce navire a pu partir dans les premiers jours du mois de mai. Les habitans de Canton émigrent en grand nombre, emportant leurs objets les plus précieux.

Le 18, les navires de guerre qui se trouvent à Hong-kong, ainsi que les transports chargés de troupes de débarquement, lèvent l’ancre et passent le Bogue, allant vers Canton. Les préparatifs se poursuivent avec la plus grande activité. Les Chinois élèvent un rempart continu de sacs de sable entre deux ouvrages avancés de Canton, le French Folly et le Dutch Folly. Des troupes traversent la rivière pendant une partie de la journée du 20 et du 21. Le 21 au matin, M. Elliot apprend, car les secrets sont mal gardés en Chine, qu’une attaque doit avoir lieu d’un moment à l’autre ; il prévient aussitôt, par une note, tous les étrangers résidant à Canton qu’ils aient à se réfugier à bord des navires avant le coucher du soleil, et qu’il est de leur intérêt de mettre sous la protection des canons anglais les propriétés qu’ils peuvent encore