Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/740

Cette page a été validée par deux contributeurs.
734
REVUE DES DEUX MONDES.

constances au milieu desquelles, ou plutôt contre lesquelles, le capitaine Elliot a dû supporter toute la responsabilité qui pesait sur lui. On peut dire qu’il s’est trouvé sans un seul appui ; ouvertement détesté de ses compatriotes, peu servi par le bon vouloir de ses auxiliaires, qui, placés à la tête des forces d’exécution, frémissaient d’impatience de se voir retenus par d’interminables négociations, il n’est pas étonnant qu’il ait échoué. J’ai encore un mot à vous dire, monsieur, pour vous expliquer ce que vous pourrez bientôt trouver d’extraordinaire dans la conduite de M. Elliot. Ces négociations rompues aussitôt que commencées, ces hostilités cessant au moment où on s’y attendait le moins, tous ces changemens à vue ont eu un but, l’intérêt commercial. Je ne vous répéterai pas ce que je vous ai déjà longuement dit ; mais, dans tous les évènemens qui vont se dérouler sous vos yeux, cherchez le ressort qui les a fait mouvoir, et vous trouverez toujours en première ligne l’intérêt du commerce anglais, et surtout l’intérêt du trésor. Je ne mets nullement en doute que M. Elliot n’ait agi conformément aux instructions de son gouvernement. Dans l’exécution des ordres qu’il a reçus, il peut s’être trompé quelquefois ; mais, croyez-moi, cet agent est une victime sacrifiée aux exigences du pays et aux cris de l’opinion publique.

Dans les derniers jours de novembre, Keschen arriva à Canton, et bientôt les négociations entre lui et M. Elliot commencèrent. Quelques mesures préliminaires de la part de Keschen durent préparer avantageusement les esprits et faire croire à une réconciliation prochaine. M. Stanton, ce prêtre anglican dont je vous ai raconté l’enlèvement, fut, à la sollicitation du capitaine Elliot, relâché par Keschen, qui le traita avec beaucoup de bonté. Lin étant parti pour Pékin afin d’y rendre compte, on le supposait du moins, de sa conduite, Keschen prit en mains la vice-royauté et l’administration de toute la province, il commença par publier un édit dans lequel il blâmait sévèrement le commandant du fort qui avait tiré sur le bateau à vapeur anglais porteur d’un pavillon parlementaire avant de s’être informé du motif de son voyage ; il finissait en enjoignant aux officiers commandant les postes militaires d’être sur leurs gardes, mais de ne pas attaquer, et de s’abstenir de commettre des actes de violence qui pourraient obliger les Anglais à user de représailles. En outre, chose inouie, Keschen consentit, lui, le troisième officier de l’empire, à traiter M. Elliot d’égal à égal. C’était là un langage bien différent de celui de Lin. Aussi les Chinois placés dans une situation officielle commencèrent-ils à baisser la tête, tandis que le peuple, irrité par des concessions dont il sentait toute la portée, sembla redoubler de haine contre les étrangers. Était-ce, de la part de Keschen, un plan concerté à l’avance ? Voulait-il endormir le plénipotentiaire par une conduite si différente de celle de son prédécesseur ? ou bien était-il de bonne foi dans le désir qu’il manifestait de hâter le dénouement de la question ? Il se pourrait que les conditions exigées ensuite par M. Elliot lui aient paru d’une exécution impossible.

Quoi qu’il en soit, l’escadre anglaise s’était rapprochée des bouches du Boca-Tigris ; Keschen s’était rendu, de son côté, à la seconde barre, et les