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LETTRES DE CHINE.

fait concevoir s’étaient évanouies. Le commerce qu’on avait espéré attirer de la côte voisine n’arrivait pas. Les habitans de l’île, qu’on s’était efforcé de se concilier, fuyaient plus que jamais le voisinage des Européens. Quelques opérations commerciales entreprises à Macao et à Manille, d’après les récits multipliés de tous les avantages qu’on rencontrerait dans cette nouvelle possession, arrivèrent à Ting-hae, et n’y rencontrèrent pas un seul acheteur. Le désespoir commençait déjà à s’emparer de la garnison anglaise. L’inaction, la mauvaise qualité des eaux, le froid contre lequel, chose étrange, on n’avait pris aucune précaution, le climat, une nourriture malsaine, car on avait, comme je l’ai déjà dit, compté follement sur les populations chinoises pour l’approvisionnement des troupes, la dyssenterie enfin, conséquence nécessaire de tous ces fléaux réunis, décimaient ces pauvres régimens, qui déjà demandaient à grands cris qu’on les fît partir de cet horrible lieu, et qu’on les conduisît à l’ennemi. La presse anglaise de Macao censura avec plus de violence que jamais la conduite des plénipotentiaires ; elle les accusa d’avoir rabaissé encore la dignité, déjà si compromise, du gouvernement anglais, de s’être promenés tout le long de la côte de Chine en supplians, frappant à chaque porte pour que quelque mandarin voulût bien recevoir une lettre de lord Palmerston ; enfin, après avoir inspiré un peu de terreur par la présence des vaisseaux anglais dans le voisinage de la capitale, de n’avoir pas su en profiter, et de s’être laissé éconduire comme des écoliers.

Vous le voyez, monsieur, déjà l’amiral Elliot disparaît entièrement dans les négociations qui eurent lieu à Teent-sin. Le nom seul du capitaine Elliot est mentionné ; seul, il avait vu Keschen, et seul il avait conféré avec lui. Le rôle de cet amiral, chef de l’expédition anglaise, est inexplicable. Qu’il consultât le capitaine Elliot, qui devait connaître mieux que lui tous les détails de la question, rien de plus naturel ; mais abandonner ainsi son mandat, abdiquer la confiance que son gouvernement avait cru devoir placer en lui, voilà ce qu’on concevra difficilement. On ne peut expliquer sa conduite que par le dégoût qu’il aurait éprouvé, à son arrivée à Chusan, en voyant que les opérations avaient commencé sans lui ; peut-être aussi entrevit-il toutes les difficultés de la mission qu’on lui avait confiée, et ne voulut-il pas associer son nom à des mesures et à des résultats qu’il regardait comme peu dignes d’une grande nation.

Mais que se passait-il dans la rivière de Canton pendant cette grande promenade de l’escadre anglaise sur la côte de Chine ? Le gouvernement chinois, ou tout au moins les dépositaires de son autorité dans la province de Canton, fulminaient de violens édits contre les Anglais, mettaient la tête des plénitpotentiaires et des principaux officiers britanniques à des prix élevés, ce qui ne parle guère en faveur de la civilisation chinoise. À ces édits le capitaine Elliot répondait, avant de partir pour le nord, par des proclamations au peuple chinois, annonçant que l’objet de l’expédition anglaise était de faire connaître à l’empereur la vérité que Lin lui avait cachée, protestant de la vénération de la reine d’Angleterre pour l’empereur de la Chine. Docu-