Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/725

Cette page a été validée par deux contributeurs.
719
LETTRES DE CHINE.

grands, que la lutte rendra nécessaires ? L’Inde restera-t-elle constamment tranquille ? Une guerre en Europe est-elle absolument impossible ? Le moment ne peut-il arriver où l’Angleterre, attaquée dans ses possessions d’Asie et d’Europe, devra réunir toutes ses forces pour défendre les parties vitales de son empire ? Que deviendrait alors l’affaire de Chine ? Cependant, il faut le dire, un compromis, une transaction inattendue peut, d’un moment à l’autre, précipiter un dénouement momentané qu’on ne saurait prévoir. L’Angleterre et la Chine, la première, fatiguée par des pertes qui se multiplient chaque jour, la seconde, inquiète sur les conséquences d’une guerre aussi longue, source d’invasion, au sein de la population chinoise, d’idées nouvelles et subversives, peuvent, d’un commun accord, mettre un terme à la querelle qui les rend ennemies ; soyez sûr néanmoins que, dans la solution accidentelle de cette question, les deux puissances belligérantes apporteront une arrière-pensée : l’une, celle d’un envahissement périodique et régulier, non de territoire peut-être, mais d’avantages commerciaux ; l’autre, celle d’éluder, par tous les moyens possibles, les clauses par lesquelles elle se sera liée.

Je reviens à Chusan. Aussitôt que la prise de cette île fut connue, les journaux de Canton furent remplis de descriptions de cette nouvelle possession anglaise, que tout le monde s’accordait à appeler magnifique. Les officiers qui avaient pris part à l’expédition, encore sous l’impression de leur triomphe, ne manquèrent pas d’écrire monts et merveilles ; la vue d’un peu de verdure, après un long et pénible voyage de mer, les porta à croire que cette terre était d’une rare fertilité. Le commerce anglais, de son côté, considérant la position géographique de Chusan, crut devoir s’applaudir de la conquête de son gouvernement. Placée en regard des provinces centrales du littoral de la Chine, de celles qui produisent le plus de soie et de thé, à peu de distance de Ning-po et de Nankin, deux des premiers entrepôts du commerce chinois, Chusan offrait, en effet, des avantages qu’on aurait difficilement trouvés ailleurs réunis en plus grand nombre. Hélas ! ce moment d’exaltation fut court. Vous verrez, monsieur, que la réalité vint bientôt, de sa main de fer, briser toutes ces riantes illusions, et que les espérances se changèrent en regrets, les acclamations de bonheur en cris de désespoir.

Le 9 juillet, la frégate la Blonde et le bateau à vapeur Queen furent envoyés de Chusan à Ning-po, afin de se procurer des provisions fraîches, dont on commençait déjà à sentir le besoin. L’objet principal de cette expédition était de mettre entre les mains des autorités de cette ville la copie d’une lettre de lord Palmerston, adressée au cabinet de Pékin. Les Anglais purent voir alors combien peu leur était favorable l’effet produit par la prise de Chusan. La lettre de lord Palmerston fut renvoyée ; aucun des mandarins, ne voulut ou ne daigna la recevoir. Déjà le 3 juillet, et par conséquent trois jours avant l’attaque contre Chusan, une embarcation de la même frégate s’était avancée vers la ville d’Amoy, protégée par un pavillon parlementaire et montée par un des lieutenans de la frégate et par M. Thom, un des inter-