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l’amiral Elliot, et que, dès le moment que cet officier-général aurait pris le commandement en chef des forces, toute la gloire de l’expédition eût été pour lui. Certes, je ne voudrais pas que vous pussiez trouver dans ce que je viens de dire le désir de jeter le moindre blâme sur la conduite de sir Gordon Bremer. Loin de là, sir Gordon est, au témoignage de tous ceux qui le connaissent, un brave et loyal officier. Il avait reçu de son gouvernement le commandement des forces anglaises jusqu’à l’arrivée de l’amiral Elliot. Aucun ordre ne l’arrêtant, il était de son devoir de ne pas perdre un instant, et je défie quelque officier que ce soit, ayant un peu de cette noble ambition sans laquelle on ne fait rien de beau et de grand, de dire qu’à la place de sir Gordon il n’eût pas agi comme lui. Cependant il paraît que ces antécédens, combinés avec d’autres circonstances, rendirent à l’amiral Elliot son commandement peu agréable.

Le 4 juillet, l’escadre anglaise arriva devant Ting-hae, capitale de l’île de Chusan. Quelques pourparlers précédèrent les hostilités ; mais le 5 juillet, dans l’après-midi, le premier coup de canon fut tiré ; quelques Chinois furent tués, et le 6 au matin, la ville, abandonnée de tous ses habitans, vit flotter sur ses murs le pavillon britannique. Le même jour, à trois heures de l’après-midi, l’amiral Elliot et le plénipotentiaire anglais arrivèrent à Chusan ; ils purent, pour ainsi dire, voir de loin la fumée des canons qui venaient d’enlever à la céleste dynastie une fraction de son immense territoire.

Le 9, le gouvernement militaire et civil de la nouvelle possession fut organisé. Vous voyez, monsieur, que je passe rapidement sur les évènemens ; je ne les rappelle que pour avoir l’occasion de vous présenter les réflexions qu’ils m’ont suggérées. C’est donc plutôt un commentaire qu’une narration que je vous envoie en ce moment.

La prise de Chusan fut célébrée par la communauté anglaise en Chine comme un évènement d’une immense importance. Le gant est jeté, disait-on, et désormais nous sommes sûrs d’obtenir en Chine la position qui convient aux intérêts du commerce anglais, car l’Angleterre ne peut plus reculer. On avait raison, et peut-être l’avenir réalisera-t-il les espérances qu’on avait conçues. L’Angleterre ne s’arrêtera pas, elle ne le peut ni ne le doit ; mais par combien de sacrifices ces avantages qu’on attend n’auront-ils pas été achetés ! Je ne parle point ici, monsieur, croyez-le bien, des sommes dépensées par le gouvernement ; ce n’est là qu’une considération secondaire. Mais les plaies du commerce ne se guérissent pas aussi facilement. Tous les triomphes des armes anglaises ne pourront rendre la tranquillité et l’honneur aux négocians qui ont fait et feront faillite avant l’arrivée de ce dénouement, qui est encore perdu dans les nuages de l’avenir. Les maux qu’aura soufferts l’industrie britannique pendant ces longues années de malaise laisseront des traces profondes, et d’ailleurs, qui peut prévoir d’une manière certaine la limite où s’arrêtera cette guerre ? J’ai dit que l’Angleterre ne pouvait plus reculer, mais jusqu’où avancera-t-elle ? Si la résistance des Chinois se prolonge, pourra-t-elle supporter long-temps les sacrifices, chaque jour plus