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LETTRES DE CHINE.

Singapore d’abord, puis sur la côte de Chine, manquant de deux conditions indispensables du succès, l’ordre et la régularité. Il était évident que le gouvernement anglais avait été pris au dépourvu, ou plutôt qu’il était entré avec répugnance dans une série de mesures dont il n’entrevoyait pas de résultats satisfaisans. Les troupes arrivèrent à Singapore sans cartouches, et force fut de mettre les faibles ressources de la garnison de cette place en réquisition, pour qu’à leur débarquement sur la côte de Chine, les soldats eussent quelques coups de fusil à tirer. Vous verrez plus tard que ces troupes furent envoyées, avec les vêtemens destinés au climat du Bengale, pour hiverner en des pays où tout le monde, dans l’Inde, sait que le froid est très intense. La même imprévoyance présida à l’approvisionnement de l’expédition, car, à Chusan et dans la rivière de Canton, la mauvaise qualité des alimens distribués aux soldats fut, bien plus que l’insalubrité alléguée du pays, la cause de l’affreuse mortalité qui les décima. Peut-être espérait-on que les Chinois du littoral, séduits par l’appât du gain, porteraient des provisions à la flotte ; ces espérances furent bientôt détruites ; et on a peine à concevoir que le gouvernement du Bengale ait hasardé, sur une pareille conjecture, la vie d’un aussi grand nombre de sujets britanniques. D’un autre côté, les chefs militaires de l’expédition, partis de plus loin que les officiers auxquels le commandement des forces fournies par l’Inde fut provisoirement confié, arrivèrent aussi plus tard. Ceux-ci, après d’assez longs délais, purent mettre à la voile, de Singapore, quelques jours avant l’arrivée de l’amiral Elliot, — nommé commandant supérieur de l’expédition et premier plénipotentiaire de sa majesté britannique en Chine, — qui ne rejoignit la flotte qu’après le commencement des hostilités. Le capitaine Elliot, parent de l’amiral, et dont j’ai eu plusieurs fois l’occasion de parler, lui avait été adjoint avec égalité de pouvoirs, si je ne me trompe, dans cette importante mission.

Le premier acte du commodore sir Gordon Bremer, à son arrivée à Macao, fut, ainsi que je vous l’ai dit, de mettre la rivière de Canton, avec toutes ses entrées, en état de blocus. Cette fois, le blocus était déclaré par un acte spécial d’un agent autorisé à cet effet par le gouvernement anglais, et le commerce américain, qui avait protesté vivement contre les essais de blocus promulgués à plusieurs reprises par le capitaine Elliot et le capitaine de la corvette la Volage, se soumit aux rigueurs de cette déclaration, sinon sans murmure, du moins sans protestation officielle. Ce blocus dut commencer le 28 juin.

Permettez-moi, monsieur, de placer ici quelques réflexions sur ce premier acte d’hostilité du gouvernement anglais contre la Chine, car je ne donnerai pas ce nom aux divers conflits qui avaient eu lieu dans la rivière de Canton entre quelques bâtimens isolés de la marine anglaise et des détachemens chinois. Doit-on considérer le blocus comme un acte d’hostilité ou simplement comme un avertissement et même une menace ? Le premier acte d’un gouvernement dans une question politique qui n’a pas été soumise à une discussion contradictoire de la part du gouvernement dont il croit avoir à se plaindre,