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DESTUTT DE TRACY.

Les trois premières de ces opérations formaient pour l’homme les moyens de connaître ; la dernière lui donnait le moyen d’agir. Toutes les quatre étaient également dues à l’intervention des sens. Comment ? Le voici : les objets extérieurs produisaient une impression sur les nerfs, et les nerfs, par un mouvement qui leur était propre, transmettaient cette impression au cerveau. Le cerveau doué d’une force particulière, que M. de Tracy ne définissait pas, recevait cette impression qui y devenait une sensation, si l’objet était présent ; un souvenir, si l’objet était absent ; un rapport, s’il y avait plusieurs objets lui portant à la fois l’image de leurs ressemblances ou de leurs différences ; un raisonnement, s’il y avait plusieurs rapports ; qui, enfin, si elle suscitait des désirs dans le cerveau, provoquait, de sa part, un autre mouvement nerveux s’exerçant du dedans au dehors pour les satisfaire et produisait l’action comme l’autre produisait la connaissance. Ainsi savoir et vouloir étaient les résultats de deux opérations organiques toutes deux forcées, et dont l’une dépendait de l’autre.

Telle était l’idéologie de M. de Tracy qui servait de fondement à sa morale. En effet, de la quatrième des facultés de l’entendement ou de la volonté et des désirs qui en sollicitaient l’exercice, naissaient pour l’homme les droits et les devoirs qui dirigeaient et réglaient sa conduite. Ses droits avaient pour origine les besoins bien compris de sa nature, et ses devoirs trouvaient la leur dans les moyens judicieusement employés qui lui avaient été donnés pour satisfaire ces besoins. Dans ce système de morale, la liberté n’était pour l’homme que le pouvoir de réaliser ses désirs, la vertu que la sagesse de les mesurer à ses moyens, et le bonheur résultait de l’usage de sa liberté réglé par les discernemens de sa vertu.

Cette morale, comme toutes les autres, avait besoin d’une sanction. Quelle était celle qui lui était donnée par M. de Tracy ? Laissons-le parler lui-même : « Tout devoir, dit-il, suppose une peine qu’entraîne son infraction, une loi qui prononce cette peine, un tribunal qui applique cette loi. La punition de mal employer ses moyens est de leur voir produire des effets moins favorables à sa satisfaction ou même de leur en voir produire qui soient tout-à-fait destructifs. Les lois qui prononcent cette peine, ce sont celles de l’organisation de l’être voulant et agissant, ce sont les conditions de son existence. Le tribunal qui applique ces lois, c’est celui de la nécessité elle-même contre lequel il ne peut se pourvoir. » M. de Tracy arrivait, comme conséquences suprêmes des lois qui ré-