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ÉTUDES SUR LES TRAGIQUES GRECS.

cap Sunium au Parthénon, distinguaient l’extrémité de la lance et l’aigrette du casque de la statue de Minerve[1]. De plus, il n’est pas impossible que les anciens aient connu, sinon les lunettes d’approche, du moins la propriété des verres concaves et des verres convexes. La finesse du travail de certaines pierres gravées a fait supposer que les artistes s’aidaient de la loupe ; on a depuis acquis la preuve directe de ce fait par la découverte d’une loupe dans un tombeau romain[2]. Pline dit de l’émeraude qu’elle réjouit la vue des graveurs sur pierre et que la douceur de sa teinte verte repose leurs yeux fatigués. Ce sont les conserves. Il dit encore que les émeraudes sont souvent concaves, plerumque concavi, ce qui les rend aptes à réunir les rayons visuels, ut visum colligant ; et il ajoute que Néron, qui paraît avoir eu la vue courte, regardait les combats de gladiateurs à travers une émeraude. Cela ressemble fort à notre lorgnon. D’ailleurs, comment, pour être vus, les acteurs tragiques auraient-ils eu besoin d’agrandir aussi démesurément leurs traits et leur stature, tandis que les comiques, qui jouaient sur la même scène, n’étaient pas obligés d’employer les mêmes expédiens, et que les mimes, qui jouaient sur l’orchestre, c’est-à-dire à quelques pieds au-dessous du proscenium, se montraient avec leur taille naturelle, sans socque et même assez souvent sans masque ?

Je crois donc, pour conclure, que la véritable et seule cause de l’exagération du costume tragique a été la nécessité de conserver sur la scène la grandeur idéale des personnages héroïques. Et, quant aux masques en particulier (outre quelques avantages fort secondaires, comme celui de rendre plus facile aux hommes de remplir des personnages de femmes et de permettre à de vieux acteurs de se montrer dans des rôles de jeunes gens et même de jeunes filles), je pense que leur véritable et suprême utilité a été de favoriser le maintien au théâtre, comme dans les temples et dans les mystères, des types des dieux et des héros, tels que les consacraient les rites ; car il ne faut jamais perdre de vue que le costume théâtral, avant d’avoir été scénique, avait été long-temps dionysiaque.

Nous demandons bien pardon à M. Patin, et surtout à nos lecteurs, de nous être laissé entraîner à une aussi longue digression à propos

  1. Pausan., Attic., cap. XXVIII.
  2. Manni, Degli occhiali da naso, p. XV et XVI, cité par M. Libri dans son Histoire des sciences mathématiques en Italie, t. I, p. 56, no 4. — Un passage d’Aristophane (Rub., v. 767) prouve d’ailleurs que les Grecs ont connu les lentilles, ou verres ardens.