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est plus savant que ne le sera probablement jamais M. Rousselot, avait voulu faire une histoire de la philosophie grecque, il est à croire qu’il n’y serait pas parvenu. Qu’a-t-il fait ? Il s’est borné à Platon, et dans Platon il a choisi, sur trente-trois dialogues, le plus important et le plus difficile, puis il a passé quatre ans à l’étudier. Aussi ce qu’il a fait est fait, et on ne saurait en dire autant de l’Histoire de la Philosophie au moyen-âge de M. Rousselot.

M. Rousselot ne voit dans le moyen-âge que la question des universaux. Il divise toute cette période en quatre parties, en se fondant sur les phases diverses de cette question fondamentale. C’est une grande question sans doute, la première, si l’on veut, et pourtant ce n’était pas la peine de changer la classification reçue. Ce qui importe au moyen-âge, c’est plutôt la forme que le fond. S’il est vrai de dire que la méthode est tout en philosophie, cela est vrai surtout au moyen-âge, puisqu’il s’agit bien moins de découvrir la vérité que de se mettre en état de la découvrir, et de conquérir le droit d’y travailler sans entraves. M. Rousselot, qui généralise avec quelque légèreté, de cela seul qu’il voit des réalistes dans le moyen-âge, conclut que l’influence de Platon n’y a pas été moindre que celle d’Aristote ; c’est le premier résultat fâcheux d’une érudition douteuse de conduire à des paradoxes, et de faire naître des rapprochemens défectueux. Il soutient que tous les systèmes modernes ont leurs racines dans la philosophie scholastique. Cela est juste et vrai ; mais, pour avoir trop voulu abonder dans son propre sens, M. Rousselot a perdu le bénéfice de cette idée heureuse qu’il s’était appropriée. On ne saurait trop le répéter aux historiens : de comparaisons en comparaisons, à force de diminuer les différences et d’exagérer les ressemblances, on arrive à une identité et à une immobilité parfaites, et alors il n’y a plus d’histoire. Quand on sera parvenu à faire de tous les systèmes le même système, comment expliquera-t-on la génération des systèmes l’un par l’autre ? M. Rousselot, par exemple, est convaincu que tout réaliste est panthéiste : c’est là certainement une proposition téméraire, à moins que M. Rousselot ne soit attaqué du même mal que M. l’abbé Maret, professeur à la Sorbonne, qui voit des panthéistes partout ; car enfin, si tous les réalistes sont panthéistes, ne peut-on pas dire aussi que tous les nominalistes sont athées, de sorte que personne ne pourra plus croire en Dieu ? De cette prémisse que tout réaliste est panthéiste, M. Rousselot conclut que saint Anselme est un panthéiste. Quoi ! saint Anselme, l’auteur du Proslogium ! saint Anselme, l’inventeur de la preuve à priori de l’existence de Dieu !