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bingen avec lui, remarquait l’excentricité singulière, transcendante, de cette nature souabe, et la notait dans ses écrits avec cette réserve, ce ton diplomatique des Allemands du nord. Kerner crut, avec la visionnaire de Prevorst, porter un coup mortel au rationalisme, opposer une digue à la dialectique, alors comme aujourd’hui envahissante, confondre les railleurs, amener les gens du monde aux idées sérieuses, et les incrédules à la foi. Il concluait de lui-même aux autres, et s’écriait, après la mort de sa visionnaire :

« Adieu ! Tous les trésors que je te dois, je les porte désormais dans mon sein, et mon être intérieur plonge sans hésiter dans les profondeurs de l’esprit… Apparais à ma dernière heure, viens m’avertir lorsque mes yeux se fermeront. »

Et dans une autre pièce :

« Il t’était donné, à toi, de lire dans les cercles lumineux du monde intérieur ; tu savais ce que c’est que l’esprit et que l’ame, comment ils se séparent, se cherchent et se réunissent dans la mort. »

Cependant le livre fut loin d’accomplir les miracles qu’on espérait, et l’humanité continua d’aller son train comme par le passé. Il fallait bien se résigner ; on le fit, non sans quelque amertume contre les doctrines du temps et leur perversité :

« Un livre que la multitude repousse, parce qu’à ceux qu’un ignoble appétit consume, il ne promet pas le ciel, le ciel étoilé, mais la nuit éternelle pour le repentir ; un livre où les paroles d’une faible femme menacent de ruiner l’esprit des forts, la sagesse du monde, de ruiner la Babel telle qu’ils la construisent ! De là leur colère à tous en le lisant. »

Les Lettres de Prevorst et bon nombre d’écrits théoriques ou critiques, contenant soit de nouveaux faits de l’ordre magnétique et démonologique, soit des exposés de doctrines et des réponses à ses adversaires, sont venus depuis compléter ce système de spiritualisme transcendant dont Kerner avait jeté les bases dans la Visionnaire.

Le grand moyen de conviction qu’emploie Kerner, ce sont les faits qu’il produit et qu’il entasse comme à plaisir, associant l’antique au moderne, mêlant ensemble la tradition et l’observation, souvent sans trop s’apercevoir qu’il ouvre par là le champ à la critique. Si Kerner a jusqu’ici rencontré bien des incrédules, avouons cependant que ses convictions à lui ne se sont jamais démenties ; ni les argumens de ses plus redoutables antagonistes, ni leurs railleries n’ont jamais su le prendre au dépourvu. « Venez, voyez et croyez, »