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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

faisant, sans le moindre scrupule, parader sur des tréteaux les augustes figures qu’il ne cesse ni de reconnaître, ni d’avoir en honneur.

Si l’on recherche la somme des divers jugemens portés en Allemagne sur Kerner, voici à peu près ce qu’on trouve : ôtez à cette nature l’élément superstitieux, magnétique, démoniaque, et vous aurez un excellent homme, un des maîtres de l’école souabe, un poète religieux, naturel, d’une sentimentalité suave, élégiaque, mais, disons-le aussi, maladive et par momens dangereuse comme l’opium. Kerner lui-même s’écrie quelque part, sans doute en faisant allusion à ce verdict : « Je vis par la poésie et la médecine, et, seulement lorsqu’on parle d’esprits, on se souvient du mien, et pour railler encore. » Cependant nous ne pensons guère qu’on puisse voir dans les tendances magnétiques de Justin Kerner, dans ses spéculations magiques si l’on veut, une simple affaire de dilettantisme et de curiosité. Il y a plus, ce besoin d’évoquer et de connaître est chez lui une chose instinctive, profonde, inhérente à son individualité, dont on ne saurait l’extraire sans dissolution. « Destinée, conscience, deux mots pour une même idée, » a dit un philosophe allemand, Schubert, je crois, et cette phrase, prise dans son sens légitime, enferme une très grande vérité. Je doute que sur un autre la visionnaire de Prevorst eût jamais agi comme sur Kerner ; les mêmes conditions scientifiques, médicales, religieuses, se fussent-elles rencontrées d’ailleurs ? Cette femme fut pour lui, pour son ame et sa poésie, une sorte de miroir fidèle, de réfracteur lumineux ; et dans ce sens on pourrait dire que la physionomie de la visionnaire, telle qu’il nous l’a donnée, est l’œuvre de Kerner. Elle participait de son originalité, de son individualité, comme lui prenait en elle de nouvelles impulsions, d’autres vues ; et, sans prétendre porter un jugement sur la réalité, sur le degré de réalité de ces apparitions dont on s’est préoccupé si vivement de part et d’autre en Allemagne, ne pourrait-on pas dire, en ayant égard à l’influence personnelle de Kerner, que ces phénomènes ont puisé dans le cercle où ils se sont développés, dans la mystique atmosphère du médecin, de l’ami, du poète, cette couleur éthérée, ce merveilleux, qui n’ont certes pas médiocrement aidé à leur concilier l’intérêt général ? Il est tout-à-fait selon les principes du magnétisme que la visionnaire prenne part à l’individualité de son médecin, de son magnétiseur, et, sur ce qui regarde l’originalité parfaite de cette individualité, les témoins compétens se prononceront. Déjà, il y a plus de trente ans, Varnhagen, le spirituel et incisif Varnhagen, lorsqu’il étudiait à Tu-